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un aspect sévère. Nous grimpons jusqu’à la galerie étroite parallèle au fleuve, et d’un abord trop facile hélas ! car les Arabes s’en servent quotidiennement comme d’un refuge. Aussi les admirables sculptures des bas-reliefs sont-elles entièrement dégradées : partout des traces lamentables laissées par les Philistins. Nous errons dans le désert environnant, amas de rochers. noirs, gris, de sable amoncelé dans les bas-fonds, — endroit désolé s’il en fut. Il est trop tard pour visiter les carrières de l’autre rive, d’où sont sortis, il y a trente siècles, les blocs qui ont servi à contraire les villes de la Haute-Egypte. On nous supplie de ne pas nous écarter, car l’obscurité arrive, et on se perdrait facilement dans ce dédale de rochers semblables.


14 janvier.

A dix heures, nous débarquons à Assouan. Depuis deux heures, nous approchons de la Nubie, et l’aspect du fleuve est tout à fait différent. Les collines sont basses, sombres ; sur les rives, des bois de palmiers, les plus beaux que nous ayons vus. Nous distinguons un minaret blanc, d’immenses sycomores, et puis les îlots de rochers d’un noir de jais, et surtout l’île d’Éléphantine, verte émeraude, qui divisent le fleuve. Au rivage, une foule nous attend ; elle est plus mélangée que d’habitude et surtout plus foncée. Beaucoup de nègres absolument noirs, des Nubiens bronzés et quelques Arabes besharis, semblables à ceux que nous admirions il y a quelques années. au Jardin d’acclimatation. Le type est reconnaissable entre tous : les yeux ardens, la bouche très fendue, le nez fin, pas de turban, mais une forêt de cheveux qui se dressent droits sur et autour de la tête, les formes d’une élégance extrême. La foule se rue sur nous pour nous offrir mille bibelots à acheter : des armes, des courbach, des paniers, des œufs d’autruche, même des gazelles pleuvent avant que nous ayons quitté la planche qui nous sépare de la terre ferme.

Un gamin à la peau d’ébène, à la voix stridente, s’attache à nous ; il n’a qu’un quart de chemise ; mais sa perruque crépue est splendide et, de temps en temps, il la laboure avec une longue épingle de corne qu’il y repique ensuite d’un air vainqueur. Il veut à toute force me vendre « Madame Nubia. » L’objet est une ceinture en lanières de peau d’hippopotame, seul vêtement des « dames » au-delà de la cataracte et auquel ce nom typique a dû être donné par quelque mauvais plaisant. Elle est de plus brodée de perles de couleur ; mais il s’en exhale une telle odeur d’huile de ricin que je ne puis vraiment en infecter ma cabine. Les notabilités de la ville attendent le consul sous les sycomores séculaires qui ombragent le bord de l’eau. Tout grouille autour de nous dans un délicieux mélange :