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Oseraient-ils bien quitter le champ de bataille ? Fallait-il venir jusque sur les bords de l’Hydaspe pour voir une troupe macédonienne en fuite ? Rassurez-vous, rien de semblable avec les soldats d’Alexandre n’est à craindre ; le plan de la bataille simplement se dessine : assaillir avec vigueur l’aile gauche, contenir le centre et déborder l’aile droite pour filer de toute la vitesse des chevaux sur ses derrières, voilà ce que l’examen des lieux et les dispositions adoptées par Porus ont inspiré au génie guerrier du fils de Philippe. La partie de l’armée indienne qui lutte contre Alexandre se trouve, à son immense surprise, assaillie soudainement en tête et en croupe. Dans ce danger pressant, les derniers rangs n’ont pas hésité à faire volte-face. Se figure-t-on ce que peut causer de désordre dans une troupe à cheval, dans une troupe qui combat déjà un ennemi d’égale force corps à corps, ce mouvement non prévu par les plus savans traités de tactique ? La manœuvre est délicate sans doute ; elle n’a jamais semblé d’une exécution impossible à la cavalerie du Pendjab ; les escadrons sykhs l’ont accomplie plus d’une fois sous les yeux émerveillés des Anglais. La disproportion des forces cependant est trop grande ; l’aile gauche de Porus se disperse ; ses cavaliers, serrés entre deux lignes qui tendent à se rejoindre, vont chercher un refuge à l’abri du rempart que forme au milieu de la plaine l’imposante rangée des éléphans.

Que sont donc devenus les chars dans ce grand désarroi ? N’ont-ils pas tenté quelque diversion ? S’ils ne pouvaient rien contre la cavalerie, il leur était du moins permis de se ruer en masse sur la phalange. Les chars n’ont pas bougé ; ils paraissent avoir complètement abandonné l’aile gauche à son sort. Porus n’a rien gagné à choisir pour livrer bataille un terrain qui lui fût propice. Cette inaction d’une force aussi considérable ne nous est expliquée ni par Amen, ni par Diodore de Sicile, ni par Quinte Curce ; elle doit avoir contribué plus que tout le reste à la fâcheuse issue de la journée. La terre, très probablement, dans cette plaine argileuse de Russoul et de Mong, n’avait, pas plus que dans les champs si funestes à nos armes de Waterloo, eu le temps de sécher et de se raffermir. La pluie combattit ce jour-là contre Porus : elle devait le 18 juin 1815 aider les soldats de Blucher et de Wellington à nous vaincre.

Alexandre laisse à Cœnus le soin de poursuivre les fuyards, — ce n’est pas là une besogne de roi. — Sans perdre un instant, il vole vers la phalange ; les hypaspistes ne sauraient s’ébranler avec la confiance nécessaire qu’à sa voix, marcher aux éléphans que sous sa conduite. Pour la première fois, les Macédoniens vont avoir à combattre ces redoutables monstres dont les cris aigus et perçans les frappaient déjà de terreur quand ils arrivaient portés par les vents jusqu’à la rive droite de l’Hydaspe. De la contenance que la