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donne sans doute la complète énumération, prenez seulement une idée de ce qui s’était publié sur Voltaire avant que M. Gustave Desnoiresterres écrivît ses huit volumes : Voltaire et la Société au XVIIIe siècle. Mais s’il y aurait ingratitude à la fois et témérité de songer à refaire ce remarquable ouvrage, et sans faire observer que déjà quelques parties pourraient en être utilement retouchées, n’est-il pas vrai que, bien loin de clore le débat sur Voltaire, ce livre, si riche de faits nouveaux, et nouveaux surtout par la nouveauté de la disposition, l’a plutôt ranimé ? Manquions-nous encore d’écrits sur Diderot ? Mais, dans ces dernières années, cette considération qu’ils venaient trop tard, n’a heureusement arrêté ni M. Caro, ni M. Scherer, ni M. Morley, pour ne parler que de ceux qui sont à notre connaissance ; et chacun d’eux a prouvé, différemment mais également, qu’il y en avait encore quelque chose et beaucoup à dire. Je ne désespère pas qu’il ne se trouve après eux quelqu’un pour avoir le même courage et en obtenir la même récompense. C’est qu’indépendamment de ce que, comme on a pu le voir, chaque jour nous apporte de nouveau sur le XVIIIe siècle, on ne vient jamais trop tard à parler des œuvres ou des faits qui, si loin dans le temps qu’on en puisse être, n’ont pas encore produit toutes leurs conséquences. Il y aura des choses neuves à dire des philosophes et de l’Encyclopédie tant que nous n’aurons pas reconquis la tranquillité d’esprit qu’ils nous ont enlevée, comme de la politique ou de la guerre tant qu’un nouvel équilibre n’aura pas remplacé celui que l’apparition subite, pour ainsi dire, de la Prusse et de la Russie, a renversé dans le siècle dernier.

J’espère d’ailleurs avoir montré, d’après quelques-uns au moins des livres dont j’ai parlé, qu’il s’en fallait de beaucoup que le XVIIIe siècle nous fût aussi connu que nous serions tentés quelquefois de le croire. Si je pouvais communiquer cette conviction à ceux, qui l’étudient un peu trop persévéramment, sous prétexte d’histoire de mœurs, par ses côtés honteux ; et, d’autre part, inspirer le désir de l’étudier à ceux qui continuent d’en parler comme on le pouvait faire il y a seulement vingt-cinq ou trente ans, je n’aurais point perdu ma peine, ce qui leur est sans doute fort indifférent, mais surtout, et ceci les touchera plus sensiblement, je ne leur aurais point conseillé un ennuyeux emploi de leurs loisirs.


F. BRUNETIERE.