Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

stratégique. Abisarès donnait peu d’inquiétude ; il multipliait l’envoi de ses ambassadeurs, réitérait l’assurance de ses dispositions pacifiques et, fût-il disposé à tenir, les circonstances aidant, peu de compte des déclarations que lui commandait en ce moment la prudence, on pouvait jusqu’à un certain point s’en remettre à l’ambition du rajah de Lahore du soin de restreindre les désirs d’empiétement du rajah de Cachemyr dans de justes limites. Les tribus indépendantes méritaient qu’on accordât plus d’attention à leur attitude suspecte. Il fallait de toute nécessité établir la suzeraineté de Porus, puisque c’est à Porus qu’on voulait se fier, sur les Glauses, qui habitaient entre le Haut-Hydapse et les sources de l’Acésinès, sur les Adraïstes qui vivaient entre l’Acésinès et l’Hydraote, sur les Cathéens établis dans la partie inférieure de cette même province, sur les Malliens et sur les Oxydraques cantonnés entre l’Hydraote et l’Hy-phase. Un autre Porus affichait la prétention de traiter avec Alexandre pour son propre compte ; neveu du rival de Taxile, il refusait l’hommage qu’Alexandre voulait lui imposer envers le prince vaincu qui le réclamait comme un de ses hyparques : c’était encore là une résistance à briser et un territoire à soumettre.

La densité de la population dans cette région privilégiée des cinq fleuves ne cessait d’être un sujet d’étonnement pour les Grecs. Les rochers des Cyclades et le sol peu fertile de l’Attique ne les avaient guère préparés à voir sans émotion semblable spectacle. Neuf peuples différens, leur assurait-on, occupaient le terrain compris entre les deux fleuves extrêmes, l’Hydaspe et l’Hyphase ; neuf mille villes, toutes plus grandes que Cos, avaient peine à les contenir dans leurs enceintes. Alexandre, dès que les opérations sont ouvertes, conduit la campagne avec sa vigueur accoutumée. Il se porte d’abord chez les Glauses, dont le territoire montagneux sépare les états de Porus de ceux d’Abisarès ; en quelques jours, il s’empare de trente-sept villes renfermant chacune de cinq à dix mille habitans, sans parler d’une multitude de bourgs presque aussi peuplés que les villes. La seule organisation militaire que présentât la contrée avait disparu avec la grande armée de Porus ; on aurait encore des fleuves impétueux à franchir, des villes entourées de murailles à prendre ; on n’aurait plus de grandes batailles à livrer.

Le passage de l’Acésinès, accompli en pleine mousson de sud-ouest, paraît avoir laissé dans l’esprit du roi Ptolémée le souvenir d’une opération aussi périlleuse que difficile. « Ce fleuve, disait l’ancien somatophylaque dans les précieux mémoires qu’Amen, quand il écrivait l’Anabase, avait sous les yeux, présentait, à l’endroit où l’armée d’Alexandre le traversa sur des barques et sur des radeaux, une largeur de 3 kilomètres environ. La rapidité du courant, brisé par des rochers et par des bancs de sable, produisait en