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convertir en cultures morcelées par la mise en location d’une quantité de lots qui, n’étant pas toujours dans les conditions convenables à la petite culture, n’accroissent le revenu du propriétaire qu’au préjudice de l’agriculteur et de la richesse du pays. On ne peut s’empêcher de sourire lorsqu’on entend tel de ces grands propriétaires gémir sur la loi de succession et ses effets quant aux partages. Ils ne les attendent même pas. C’est de leur vivant qu’ils procèdent au morcellement lucratif de leurs domaines. La spéculation a de quoi tenter. Chaque lot trouve plus facilement un acquéreur ou un locataire, et il s’établit une surenchère entre les petits capitaux qui augmente la valeur vénale ou locative, sans profiter toujours d’autant au meilleur revenu. Opération légale à coup sûr, légitime, si l’on veut. En droit strict, on ne peut en contester la faculté même à ces propriétaires, qui, par l’abus qu’ils en ont fait, ont contribué à mettre l’Irlande dans l’état que l’on sait. Assurément nos propriétaires n’en sont pas là et il s’en faut que les excellens pays dont nous parlons soient une Irlande ; toujours est-il que cette opération étant factice, et ayant pour but une simple augmentation de gain pour le détenteur du sol, n’a pas les avantages d’une division qui se fait plus naturellement. Elle présente des inconvéniens sérieux, si l’on admet qu’il y a place pour la grande culture, et qu’un grand propriétaire n’est pas sans devoirs envers la terre et envers son pays. Les paysans caractérisent d’un mot dur ces sortes de spéculations. Ils les appellent « faire l’usure avec la terre. » Ce n’est pas par ces calculs un peu étroits que la grande propriété peut se flatter de conserver ou de reprendre son influence dans notre pays.

Pourquoi suis-je forcé d’ajouter que ce manque de largeur suffisante, et qui nuit à l’intérêt bien entendu de la propriété elle-même, si l’on regarde à son avenir, m’a paru s’accuser trop souvent dans la manière dont elle a réglé durant ces trente ou quarante dernières années les questions de baux et de fermage ? D’abord, dans ces provinces, où l’état d’avancement des cultures est remarquable, tous les gens compétens regardent des baux de dix-huit ans comme normaux en quelque sorte. En fait, les baux dépassent rarement neuf années. La faute n’en a pas été aux fermiers depuis le même laps de temps. Ils n’ont guère cessé de se plaindre que les propriétaires, espérant une plus-value au renouvellement du bail, ne faisaient rien pour les retenir[1]. Aussi, comme nous le disait l’un d’entre eux, dès que le bail commence à tirer vers sa fin, ils dégraissent la terre qu’ils avaient amendée et perfectionnée, ne voulant pas risquer de travailler pour leur successeur. Il s’en faut que le principe de l’indemnité

  1. On peut voir là-dessus la grande Enquête agricole de 1867 pour les provinces dont il est ici question.