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leur ami, lord Godolphin, cet honnête homme dont l’affection fidèle pendant leur commune et longue carrière politique est un honneur pour ceux qui l’obtinrent. La plume empoisonnée de Swift essaya plus tard de jeter un doute odieux sur les relations de Godolphin et de lady Marlborough ; personne n’y crut ; les ennemis mêmes de l’impérieuse « vice-reine, » la savaient digne de ce qu’avait dit un jour sa maîtresse, en la défendant contre la malveillance de la reine Mary : « Quant à ses principes de moralité, il serait impossible d’en avoir de meilleurs. »

Cette malveillance de la reine augmentait à mesure que s’accentuait la mésintelligence entre les deux sœurs. Après quelques efforts pour gagner lady Marlborough, Mary s’était vite aperçue qu’elle ne pouvait rien espérer de ce côté. Mais pour comprendre les causes qui devaient amener la rupture entre les princesses et la disgrâce de Marlborough, il est indispensable de dire quelques mots de la situation des partis à ce moment.

Les tories, entraînés à la révolution par le courant d’opinion, n’avaient pas tardé à se repentir, et regretter, sinon Jacques II, du moins la succession légitime en la personne de son jeune fils. Le clergé n’aimait guère « le roi calviniste, » dont il blâmait la tolérance extrême pour les dissidens. De tous les évêques, un seul avait prêté serment au nouveau monarque, et lorsque Mary demanda la bénédiction de l’archevêque de Cantorbéry : « Qu’elle obtienne celle de son père d’abord, répliqua-t-il, autrement la mienne ne serait pas entendue dans le ciel. » Les whigs, qui avaient fait la révolution, restaient fidèles à leur esprit d’opposition, et Guillaume ne tentait rien pour les séduire. Peu favorisé par la nature, petit, chétif, maladif même, aimant la retraite, peu causeur, doué d’une mémoire étonnante, d’une perspicacité et d’un sens critique très développés, observateur clairvoyant des hommes et des choses, trop enclin aux préjugés, aux reparties sèches ou sarcastiques, n’aimant pas ses nouveaux sujets et le laissant voir, cet homme, si habile à la guerre et dans le conseil, et qui servit si bien l’Angleterre, ne fut apprécié par elle que tardivement. Malgré les efforts de la reine et de ses amis, il ne voulut pas vivre à Londres et se retira à Hampton-Court, où il s’entoura presque exclusivement de ses fidèles Hollandais, parmi lesquels Bentinck, qu’il créa duc de Portland, tenait le premier rang. Il se servit de Marlborough sans avoir confiance en lui, ni en sa femme, dont la sœur avait épousé en secondes noces le duc de Tyrconnel, partisan déclaré du roi exilé. Si les tories regrettaient la cour des Stuarts, les whigs trouvaient que le nouveau souverain élu par le suffrage national plaçait trop haut la prérogative royale, au détriment de la cause libérale. Les mécontens se rassemblaient volontiers chez la princesse Anne,