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des états particuliers, même malgré l’opposition des gouvernemens de ces états. Toute administration ou toute société de chemins de fer actuellement existans est obligée d’accepter la jonction de son réseau avec les lignes nouvelles, tandis que le droit d’opposition à l’établissement des lignes parallèles ou concurrentes, concédé antérieurement, se trouve abrogé sans retour, et ne pourra plus être accordé en cas de concessions nouvelles. De quelque côté que l’on se tourne, on voit appliquer partout le principe de la prédominance du droit d’Empire sur le droit de souveraineté des états particuliers, interpréter le droit prussien comme droit allemand.


II.

Quelque chose explique, s’il ne le justifie, le rôle prépondérant de la Prusse en Allemagne. Depuis la guerre de trente ans, cette jeune puissance, devenue aujourd’hui le pivot de la politique européenne, a été le bouclier de tous ces petits états, trop morcelés ou trop faibles pour se défendre eux-mêmes, et que l’Autriche, plus puissante, n’a pas su toujours protéger efficacement. L’appui donné par la Prusse aux petits princes allemands ne s’explique pas sans doute par un sentiment de pur désintéressement. Porter au compte de la monarchie militaire éclose dans les sables de Brandebourg ce rôle généreux, mais ingrat, ou tout au moins sans profit, serait faire injure à son sens pratique. Ses historiens en conviennent sans ambages : si la Prusse a entretenu une armée hors de proportion avec ses ressources, elle a voulu du même coup assurer avec son existence son agrandissement, ce qui est tout un pour elle. Trop à l’étroit sur le territoire aride de la Marche, confinés dans un domaine peu favorisé par la nature, les électeurs de Brandebourg habituèrent de bonne heure leurs sujets à vivre de leurs voisins. Sans industrie suffisante pour occuper une population aussi prolifique, ils ont cultivé plus particulièrement l’art militaire, par nécessité autant que par goût. Les soldats formés dans ces conditions ne servent pas seulement pour la parade. Un pays pauvre ne comporte pas un pareil luxe. Pour utiliser leur armée aguerrie, nombreuse, brave et disciplinée, les princes de Hohenzollern, devenus rois de Prusse, se sont appliqués à étendre leurs possessions, à chercher des frontières naturelles, à gagner les positions stratégiques nécessaires pour observer et dominer l’Allemagne, pour neutraliser l’influence des empereurs d’Autriche, en attendant l’occasion de les exclure. Tâche difficile, entreprise avec vigueur, poursuivie avec une constance et des succès qui ne semblent pas laisser de doute sur l’issue définitive.

L’issue définitive de la politique prussienne en Allemagne tend à confondre les limites du nouvel Empire avec les limites de la langue