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réformes, tend à tout agiter, à tout mettre en suspens, et qui consiste, sous prétexte de conciliation, à livrer jour par jour toutes les institutions, toutes les traditions, toutes les garanties au radicalisme envahissant. C’est cette politique qui a, par degrés, tout affaibli, tout confondu, et a préparé les dernières crises. Que des républicains à l’esprit plus avisé ne l’entendent pas ainsi, qu’ils commencent à sentir le danger et qu’ils s’efforcent de s’arrêter dans cette voie d’inévitable perdition, c’est possible. Malheureusement la politique de désorganisation et de connivence avec le radicalisme a sa logique comme toutes les autres politiques. On tombe du côté où l’on penche, et il est résulté cette situation confuse, troublée, où, à part les crises parlementaires, peuvent se produire des incidens étranges comme ceux de Carcassonne et de Montceau-les-Mines, qui, en étant d’une nature différente, ont peut-être une signification assez analogue.

Ce n’est pas que ces incidens soient par eux-mêmes absolument extraordinaires, mais ils sont caractéristiques parce qu’ils sont pour ainsi dire le fruit naturel d’une situation troublée et comme l’illustration d’un certain désordre croissant. Le pays de Carcassonne, où les têtes sont vives et où les cœurs sont bons, selon le député qui le représente, a donc voulu faire parler de lui. Il y a dans l’Aude, à ce qu’il paraît, des instituteurs qui apprennent leurs devoirs dans le catéchisme de M. Paul Bert ; il y a des municipalités qui se piquent de marcher sur les traces du conseil municipal de Paris ; et le plus embarrassé en tout cela est le préfet qui, sans y avoir songé assurément, se voit engagé dans une sorte de duel avec de si chauds républicains. Bref, il y a eu du bruit dans Carcassonne et l’affaire ne laisse pas d’avoir pris des proportions bizarres. Comment s’est produit un si grand événement ? Il y a eu tout simplement un instituteur de la nouvelle école qui, au lieu de s’occuper de ses élèves, s’est cru permis de se livrer dans les journaux à de véritables diatribes contre l’évêque. Le préfet de l’Aude, M. Bossu, avec la meilleure volonté, ne pouvait évidemment tolérer de telles équipées de la part d’un maître d’école de village, et il n’a point hésité à suspendre l’instituteur. À quoi pensait donc le préfet de trouver mauvais qu’un instituteur entrât en lutte avec un évêque ? Aussitôt la municipalité s’est émue et la « démocratie carcassonnaise » s’est levée tout entière ! On a sommé M. le député Marcou d’avoir à porter la grande cause auprès du ministre de l’instruction publique, à la tribune, et comme l’intervention de M. le député Marcou n’a pas été des plus efficaces, on ne s’en est pas tenu là. On s’est rassemblé, on s’est échauffé, on a voté des ordres du jour réclamant impérieusement la révocation du préfet, — en attendant sans doute la suppression de l’évêque. Le préfet, sans se laisser intimider, a riposté en suspendant le maire et l’adjoint, comme il avait suspendu l’instituteur.