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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/237

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sait-on comment des républicains disposés certainement à désavouer toutes les violences s’efforcent déjà d’expliquer, sinon de pallier de tels excès ? C’est la faute du cléricalisme ! C’est la faute des directeurs de Montceau-les-Mines, qui font une trop large place aux influences religieuses dans leur administration, qui froissent les sentimens des ouvriers libres penseurs ! L’explication est étrange, on en conviendra, et mieux vaudrait voir les choses comme elles sont. La vérité est que ces tristes scènes peuvent s’expliquer tout autrement. Lorsque pendant des années on fait de la guerre au cléricalisme un mot d’ordre, lorsque, sous toutes les formes, on fomente la haine contre les traditions religieuses, contre le catholicisme, contre le prêtre, croit-on que ces excitations soient sans influence ? On répand presque officiellement ces idées, on permet à des conseillers municipaux d’aller prononcer dans des écoles, devant des enfans, des discours pleins de la négation de Dieu. Pour ne pas se brouiller avec les passions anti-cléricales dont on croit avoir besoin, on laisse tout dire, même là où on aurait le droit de tout empêcher, et c’est ainsi que, de toute façon, par tous les chemins, on arrive à cette situation où il n’y a plus ni règle, ni frein, ni appui pour un gouvernement qui n’aurait cependant pas trop de toutes les forces morales pour défendre les intérêts de la France à l’extérieur comme à l’intérieur.

Oui, certes, pour la sauvegarde de ses intérêts de toute sorte, la France aurait besoin de garder toutes ses forces, de ne pas les gaspiller en divisions intestines, en guerres de parti, en crises ministérielles, et si elle avait eu ces forces, elle n’aurait probablement pas été réduite à s’effacer dans une de ces affaires où ses traditions l’appelaient à avoir une influence. Que la paix soit aujourd’hui fort populaire en France, qu’elle soit le premier désir d’un pays devenu un peu craintif et guéri par le malheur du goût des aventures, c’est possible ; mais il est bien évident que l’appréhension de toute intervention active en Égypte, même de concert avec l’Angleterre, est venue surtout de ce que le pays n’a jamais vu clair dans ces affaires et n’a jamais su où l’on voulait le conduire : il a craint l’inconnu ! S’il s’était senti conduit par un gouvernement moins incertain, moins disputé, assez ferme et assez autorisé pour rallier le parlement à un système digne de la France, le pays aurait accepté sans trouble ce qu’on peut appeler une politique traditionnelle. Maintenant, l’heure des résolutions sérieuses est passée et elle n’est pas revenue ; la France, c’est bien entendu, n’a que faire, à l’heure qu’il est, dans la vallée du Nil, où l’on prétendait, il y a quelques mois à peine, qu’elle avait et devait garder une position privilégiée. C’est l’Angleterre seule qui a pris l’initiative et la responsabilité dans cette entreprise du rétablissement de l’ordre en Égypte, et elle s’est mise vigoureusement à l’œuvre.