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ou devenait contraire, il leur fallait courir des bordées, c’est-à-dire virer souvent de bord. Dans ces circonstances, habituelles à la navigation, ils avançaient par le travers : la résistance des masses liquides ne se produisait donc pas moins sur leurs côtés que sur leur avant. Faire la coque étroite, c’était faire les côtés longs et plats, c’était favoriser le mouvement direct et sacrifier les mouvemens de flancs. Pour accomplir avec une égale facilité les uns et les autres, la carène devait offrir dans toutes les directions des surfaces également fuyantes et par suite les œuvres vives[1], se rapprocher de formes sphériques. La nécessité avait été l’architecte de ces navires gros et courts, évidés sous l’avant et sous l’arrière, renflés de flancs, aux proportions constantes, où le tirant d’eau atteint la moitié de la largeur, où la longueur la dépasse quatre fois, où la partie immergée, à la fois la moins longue et la plus large, offre à la mer des rondeurs sans angle, et qui affirment l’unité de type dans la variété des dimensions. La variété des dimensions même était restreinte. Comme la solidité des bâtimens dépendait de leur membrure et comme la membrure devait croître en épaisseur à proportion que la construction croissait en étendue, la pénurie de pièces de bois assez fortes imposait une première limite à l’extension des navires. Comme ils calaient beaucoup d’eau, ils atteignaient vite la profondeur au-delà de laquelle ils n’auraient pu ni naviguer à proximité des côtes, ni pénétrer dans les ports. Ceux de premier rang comptaient à peine cinq mille tonnes de poids, avec soixante-dix mètres de long, dix-sept de large, et un tirant d’eau dépassant sept mètres. Tous agissaient par une seule arme, l’artillerie, et, comme se protéger eût été s’alourdir, — et s’alourdir se rendre immobile, — ne lui opposaient que leur mince bordage. Rien ne la sollicitant donc à augmenter sa force de pénétration, on s’était borné à chercher la pièce la plus puissante que le bras humain pût commodément servir, et toutes les nations avaient fini par adopter un canon qui portait à 1,800 mètres un boulet de 36 livres. La vitesse, les facilités d’évolution, l’arme, étant semblables, la quantité de canons portés par chaque navire établissait seule entre eux une différence ; en effet, la force maritime d’un peuple avait pour expression le nombre des pièces qui les armaient, et tant qu’ils étaient capables de les porter, ils gardaient, vieux ou neufs, leur valeur militaire. Tous étaient également aptes à la guerre d’escadres, de croisière ou de côtes ; les seuls qui eussent une destination particulière, — flûtes et brûlots, — étaient encore des navires de même nature, dont l’armement seul était modifié. Vers le milieu du XVIIIe siècle, il est vrai,

  1. On nomme œuvres vives les parties du navire au-dessous de la flottaison ; œuvres mortes, les parties au-dessus de la flottaison.