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donner le jour? Et si, sans leur aveu, leurs parens les ont jetés dans la vie n’est-ce pas à cette condition implicite qu’ils leur fourniraient une part de subsistance en échange d’une part de travail? Lorsqu’il naît un enfant dans une famille, a-t-on dit avec raison, aucun de ses frères n’est en droit de lui contester la participation aux biens du père; pareillement, il n’y a pas de « cadets » dans une nation. Si la famille fait défaut, il reste au-dessus d’elle la grande famille nationale : il y a solidarité entre tous les citoyens d’un même pays. Par cela même que vous, législateurs, vous n’avez pu établir de loi qui règle la multiplication de l’espèce, vous acceptez implicitement, à défaut des père et mère naturels, certaines charges à l’égard des enfans qui sont nés. Ces enfans ne sont ni « usurpateurs » ni « intrus, » puisqu’ils ne sont point eux-mêmes responsables de leur naissance, et vous n’êtes plus maîtres de les accepter ou de les rejeter, puisqu’en fait il y a actuellement pour tous assez de subsistances. Que la société veuille prendre ses précautions pour l’avenir, c’est ce dont les darwinistes nous montreront tout à l’heure la nécessité, mais la charge présente n’en existe pas moins et nous devons l’accomplir. Dans la société actuelle, les capitaux ne manquent point, mais tous les hommes n’en ont pas leur part ; cet état de choses, effet inévitable des lois économiques, crée chez les travailleurs un état naturel d’infériorité et de servitude : il y a donc lieu ici à l’intervention de la justice réparative sous la forme de l’assistance publique. Au milieu d’une disette, celui qui refuserait de vendre son blé ou qui achèterait une grande quantité de blé pour l’enlever à la circulation serait-il dans son droit? Il pourrait cependant se dire légitime propriétaire du produit de ses champs ou du produit de ses achats. Mais le même principe qui fonde la propriété, à savoir le droit de travailler pour vivre, la limite par le droit égal d’autrui. La société, sur bien des points, a su imposer des restrictions et des obligations aux propriétaires qui se prétendaient « absolus » ; elle les oblige à ne pas entraver le droit de circulation, elle exproprie pour cause d’utilité publique, elle punit celui qui incendie son bien, elle pourrait exiger une indemnité de celui qui le laisse en friche. En général, aucun droit relatif aux objets extérieurs ne peut être absolu : il y a toujours place à des limitations réciproques, par conséquent à des conventions et à des compromis. Le respect des propriétés déjà existantes et de l’ordre établi ne peut, en droit pur, être exigé du nouveau-venu que si, en échange, on lui réserve à lui-même quelque moyen d’existence. Il y a là un rapport contractuel, une convention tacite : je conviens de respecter vos moyens d’existence à la condition que vous respectiez les miens , je consens à respecter votre droit de vivre à condition