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des fonctions physiques et des fonctions mentales : mens sana in corpore sano; si une race s’affaiblit trop rapidement sous le rapport physique, elle n’a ni le temps ni le moyen de se fortifier intellectuellement, car l’intelligence ne peut faire de réels progrès dans des organismes en décadence : tout finit donc par s’étioler à la fois, l’esprit et le corps. Mais, d’autre part, il faut pourtant veiller à ce que le mouvement naturel de la civilisation ne soit pas entravé. Or ce mouvement est caractérisé par la prédominance croissante de la pensée et du sentiment chez les nations modernes. Cette prédominance favorise le développement de la philanthropie, qui la favorise à son tour par une réaction nécessaire. La question de la philanthropie, en se généralisant, finit donc par se confondre avec celle de la civilisation même. Or on ne saurait recommencer aujourd’hui, à propos de la philanthropie, les discours de Rousseau contre l’inégalité et contre les arts; on ne saurait ramener l’homme à l’état sauvage sous le prétexte que la civilisation épuise ses forces physiques et le meilleur de sa sève dans la floraison intellectuelle. La société entière, en profitant des découvertes de la science ou de l’art, profite du sacrifice des individus ou de leur postérité immédiate, si sacrifice il y a, et le profit dépasse la perte.

Cette perte même pourrait être évitée par une meilleure entente de l’hygiène et par un meilleur système d’éducation, qui devraient être précisément un des buts principaux de la philanthropie. Jusqu’ici, l’économie de la nature, pour réparer les perles de la cul- ture intellectuelle, a été obligée de procéder par jachères, en faisant succéder à une végétation trop luxuriante et trop concentrée sur un seul point un repos et une stérilité provisoires; mais un système supérieur qui a prévalu dans la culture de la terre sera sans doute appliqué un jour à la culture de l’intelligence : c’est le système des assolemens et des amendemens. Il devrait faire la base de l’éducation générale. De plus, on peut éviter, ici encore, les inégalités excessives de répartition, les antinomies du luxe intellectuel et de la misère intellectuelle par la diffusion des connaissances dans la masse de la nation : c’est encore un des objets essentiels et un des résultats bienfaisans de la philanthropie scientifique. Sans cela, l’humanité, divisée en une classe d’hommes intelligens et en une classe de brutes, ressemblerait aux deux jumelles de Presbourg, réunies seulement par l’extrémité postérieure du thorax : l’une était intelligente et douce, l’autre sotte et méchante, si bien que les violences de la dernière contre sa sœur étaient continuelles, malgré le tronc commun qui les réunissait en un seul corps, et ces violences devenaient préjudiciables à toutes les deux.

Outre les avantages matériels et intellectuels que nous venons de