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personnelles, une reconstruction de l’histoire entière de la littérature française au XVIIe siècle. On nous permettra de rappeler au passage l’estime toute particulière que nous faisons de ces sortes de tentatives; plus utiles peut-être à l’avancement de la science que les plus savantes monographies sur la syntaxe de Voiture ou sur l’emploi des relatifs dans Rabelais, et quand ce ne serait que par le nombre et la diversité des contradictions qu’elles soulèvent. L’Essai de M. Krantz en soulève beaucoup. J’imagine au surplus qu’il ne l’ignore pas lui-même, ou plutôt, il aurait pris son plus vif plaisir à les provoquer que je n’en serais pas autrement étonné. Mais aussi ceux qui continuent de défendre, en ces matières, la tradition contre la nouveauté, ne sont-ils peut-être pas toujours si parfaitement dupes de l’illusion des préjugés transmis et des leçons apprises. C’est de quoi je crains que M. Krantz n’ait pas assez tenu compte. Il me paraît du moins qu’avant de procéder à la construction du nouvel édifice, il eût bien fait de s’assurer qu’il avait renversé complètement l’ancien et qu’il n’en demeurait pas, comme on dit, pierre sur pierre.

Le lecteur a déjà certainement remarqué, tout en appréciant l’ingéniosité de ce rapprochement entre la littérature classique et la doctrine cartésienne, que M. Krantz essayait bien d’établir entre elles un rapport de subordination nécessaire, mais n’en démontrait, à vrai dire, assez solidement ni la nécessité ni peut-être même l’existence. Il nous montre fort bien, d’une part, on l’a vu, que de la métaphysique de Descartes on peut effectivement déduire une esthétique. Il n’est pas moins habile, et même subtil, d’autre part, à retrouver la matière diffuse de cette esthétique dans la littérature classique du XVIIe siècle. Mais qui dit rencontre ne dit pas dépendance, et qui dit coïncidence ne dit pas subordination. Je vois donc très clairement, s’il le veut, que l’esthétique latente de Descartes est la même, au moins dans l’ensemble, que la poétique de Boileau. Je vois déjà moins clairement, quoi qu’il en dise, que le Discours de la méthode soit le principe et la raison de l’esthétique de Racine. Ou plutôt, ce que je ne vois pas du tout, c’est de quel droit on élève le cartésianisme à la dignité de cause, en même temps que l’on rabaisse la littérature classique au rang d’un simple effet de cette cause féconde. Car pourquoi Descartes est-il ainsi comme retiré, mis à part, isolé du courant des influences qui sans doute n’ont pas laissé d’agir sur lui comme sur ses contemporains? Mais pourquoi la liberté d’esprit de Racine ou de Boileau, d’autre part, est-elle ainsi comme uniquement placé e sous l’influence du cartésianisme ?

Est-ce qu’en effet l’histoire d’une littérature n’a pas d’abord en soi le principe intérieur de son développement? « On connaît l’importance métaphysique de l’unité dans la doctrine cartésienne, dit quelque part