cres que violens, qui ne savent se servir du pouvoir que pour troubler les consciences, pour ébranler toutes les institutions, toutes les lois, par de prétendues réformes qu’ils ne peuvent même pas réaliser, pour se créer partout une clientèle subalterne en donnant satisfaction aux intérêts et aux passions les plus vulgaires. La masse de la nation ne saisit pas toujours sans doute les causes de son malaise ; elle le sent, elle comprend, comme on dit vulgairement, comme le répètent les plus humbles habitans des campagnes, que cela ne va pas. Voilà la véritable question du moment. Le pays a l’instinct qu’il n’a depuis quelques années ni la politique intérieure propre à garantir sa sécurité, ni la politique extérieure qui convient à sa grandeur ou à sa dignité, et ce n’est point certes tout ce qui s’est passé depuis six mois qui a pu guérir le malaise dont souffre la nation française.
Ce sentiment de malaise national a pu en effet être d’autant plus vif que ce désarroi de notre politique s’est trahi avec une sorte d’effacement pénible pour notre orgueil et qu’au même instant, une autre grande nation, l’Angleterre, ne craignait pas de s’engager sur cette terre d’Égypte où la France avait passé jusqu’ici pour avoir des intérêts de premier ordre. L’Angleterre, quant à elle, a pu mettre du temps pour délibérer, elle n’a plus hésité quand il l’a fallu. Elle n’a pas attendu la permission de la conférence européenne. Si elle a accepté l’intervention turque, elle a imposé des conditions que le gouvernement du sultan en est encore à discuter, qui rendent cette coopération ottomane assez problématique ou peu sérieuse. L’Angleterre reste pour le moment seule dans la vallée du Nil, et tout entière à la guerre qu’elle a entreprise ; elle est désormais en pleine action, et à la vue de cette expédition anglaise déjà engagée de toutes parts, on se souvient involontairement de cette autre campagne que le jeune général Bonaparte conduisait sur cette vieille terre égyptienne en 1798. Bonaparte, à la vérité, allait un peu plus vite que les Anglais. Il avait débarqué à Alexandrie au commencement de juillet. À peine avait-il pris le temps de s’établir, d’assurer ses positions, d’organiser à la hâte une flottille sur le Nil, qu’il marchait directement sur le Caire par Damanhour. Il sentait, comme il a dit depuis, la nécessité d’arriver dans la capitale sans perdre de temps, « afin de profiter du premier mouvement de surprise et de ne pas permettre à l’ennemi de se retrancher dans cette grande ville. » En quelques jours, avant le 25 juillet, après avoir livré les batailles de Chobrakhyt et des Pyramides, il était maître du Caire. L’expédition anglaise n’a point eu assurément cette foudroyante rapidité et n’a pas suivi la même marche ; mais c’est qu’aussi les conditions des deux campagnes sont singulièrement différentes. Bonaparte n’avait affaire qu’à l’oligarchie des mameluks, à cette armée de cavaliers qui pouvait se jeter avec une impé-