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ni d’élections. Elle devenait par ses procédés une sorte de dictature guerrière et révolutionnaire, décrétant les levées en masse, pensant avoir des forces parce qu’elle mettait des hommes en mouvement et achetait des canons, croyant renouveler le miracle des quatorze années de la république, — qui n’ont jamais existé. Elle se laissait entraîner dans cette carrière des aventures où elle se voyait bientôt refoulée elle-même de Tours jusqu’à Bordeaux, où, après avoir eu toutes les illusions, elle allait connaître tous les désastres, autour d’Orléans, sur la Sarthe comme sur la Lisaine, en Normandie comme à Saint-Quentin. La délégation, avec ses façons de joueur désespéré, n’avait pas tardé à provoquer les défiances ou la résistance de bien des esprits libres de tous les partis, qui l’auraient suivie dans ses efforts patriotiques, mais qui se sentaient révoltés de cette omnipotence aussi turbulente que vaine. Lanfrey, qui avait revêtu l’uniforme de mobilisé et qui servait dans une légion de Savoie, lançait ce mot retentissant de a dictature de l’incapacité, » qui ne laissait pas de trouver de l’écho. M. Jules Grévy, qui avait refusé un rôle au 4 septembre et qui passait quelque temps à Tours, ne cachait pas son opinion sur la politique de la délégation, particulièrement sur son refus de convoquer une assemblée. Plus que tout autre, M. Thiers, avec l’autorité de son nom et de ses services, était fait pour représenter à Tours et à Bordeaux cette opposition renaissante du patriotisme éclairé, de la raison prévoyante et libérale.

Il était revenu de Versailles avec la tristesse au cœur et avec la conviction que l’intérêt le plus pressant du pays était de retrouver un gouvernement régulier pour arriver à la paix. Il était pour la paix parce qu’il connaissait l’état de l’Europe, parce qu’il avait vu qu’il n’y avait plus rien à attendre d’aucune des grandes puissances et parce, qu’il savait bien, d’un autre côté, qu’après avoir perdu tout ce qu’on avait de cadres, de vieux soldats, d’élémens militaires sérieux, on ne pouvait pas refaire en quelques jours des armées pour combattre avec succès une invasion si fortement organisée. Continuer la guerre dans ces conditions lui semblait un défi désastreux. Il faut distinguer cependant. Ce qu’il blâmait, ce n’était pas la défense de Paris. Il l’a dit plus tard, et il ne faisait que répéter ce qu’il avait pensé, ce qu’il avait dit sous le coup des événemens : « Paris n’avait qu’un rôle dans la défense nationale, c’était de fermer ses portes et d’arrêter l’ennemi aussi longtemps qu’il le pourrait... Paris était dans la situation d’un brave défenseur de place forte qui reste dans sa forteresse jusqu’à ce qu’on l’ait relevé de son poste... » Paris faisait son devoir. La faute essentielle était à ceux qui, se trouvant hors de Paris, poussaient la guerre à outrance, sans considérer s’ils avaient les moyens de repousser l’étranger et si