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improvisée par l’émotion publique, bien des inconnus, des hommes de tous les partis, des monarchistes, des libéraux, des républicains, des exaltés, des modérés, — plus de royalistes que de républicains, plus de modérés que d’exaltés. Au fond, dans la grande majorité, c’était une assemblée honnête, bien intentionnée, arrivant à Bordeaux avec des illusions, même avec des passions, mais aussi avec la pitié sincère des malheurs du pays et la volonté d’arracher la France à l’abîme où elle semblait près de disparaître. Elue le 8 février 1871, réunie à peu près tout entière le 12, elle avait avant tout besoin d’un chef, d’un guide, d’un plénipotentiaire pour la représenter, et ce chef, elle n’avait heureusement pas à l’aller chercher bien loin; elle le trouvait dans celui que vingt-six élections lui désignaient et qui, par sa renommée européenne, par son passé libéral et conservateur, par son expérience des affaires, par son dévoûment clairvoyant pendant la guerre, était pour elle la plus sûre des garanties. L’assemblée et le pouvoir de M. Thiers semblaient naître ensemble d’un même mouvement d’opinion.

S’engager aussitôt dans des discussions irritantes, dans des luttes de parti pour le choix d’un gouvernement définitif, c’eût été prolonger et aggraver les dangers d’une crise d’où l’on avait justement hâte de sortir. L’assemblée elle-même sentait bien le péril et, sans abdiquer le droit de décider plus tard des institutions de la France, en réservant au contraire ce droit, elle ne refusait pas de maintenir pour le moment la situation de fait qui existait, de laisser à M. Thiers le titre de « chef du pouvoir exécutif de la république française, » de même qu’elle se donnait pour président un républicain éprouvé, M. Jules Grévy, qui, à la vérité, n’avait pactisé ni avec le 4 septembre ni avec la dictature de Tours. M. Thiers, quant à lui, avait ses idées arrêtées sur toute chose, et ce qui était pour l’assemblée un instinct était pour lui une politique délibérée, réfléchie, qu’il traduisait aussitôt dans ses actes comme dans son langage. A peine nommé chef du gouvernement, il composait son ministère d’hommes « choisis, comme il le disait, non pas dans l’un des partis qui vous divisent, mais dans tous, comme a fait le pays lui-même en vous donnant ses votes, en faisant figurer sur la même liste les personnages les plus divers, les plus opposés en apparence. « Il réunissait ainsi dans up même cabinet un homme qui était l’honneur du vieux parti parlementaire, M. Dufaure, un légitimiste, M. de Larcy, des membres de la défense nationale, M. Jules Favre, M. Jules Simon, un député d’un libéralisme éclairé, M. Lambrecht, l’amiral Pothuan, le général Le Flô. Il réservait le ministère des finances, le plus difficile de tous, à un homme d’une vigoureuse dextérité en affaires, à M. Ponyer-Quertier. Pour lui, en présence de la France submergée par l’invasion, épuisée de forces et de ressources, menacée par