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des conditions dictées au bout de l’épée. Il tenait tôle à son redoutable interlocuteur.

Pendant quelques jours, entre Versailles où se poursuivait la négociation, et Paris où la commission parlementaire attendait avec anxiété chaque soir le résultat de la journée, c’était un véritable drame que M. Thiers animait de son feu, de sa passion, de son inépuisable esprit de ressource. M. Jules Favre, qui était son témoin encore plus que son lieutenant, l’a dit avec émotion : «Je le vois encore pâle, agité, s’asseyant et se levant tour à tour; j’entends sa voix brisée par le chagrin, ses paroles entrecoupées, ses accens supplians et fiers, et je ne sais rien de plus grand que la passion de ce noble cœur éclatant en plaintes, en menaces, en prières, s’irritant par degrés en face d’une injuste résistance. » Parfois en effet lorsqu’il se heurtait contre les excès de la force, il semblait tout prêt à rejeter l’injure d’une telle négociation ; il se révoltait et il s’écriait un jour: « Eh bien! qu’il en soit comme vous le voudrez, monsieur le comte. Ces négociations ne sont qu’une feinte. Si vous avez résolu contre nous une guerre d’extermination, faites-la. Ravagez nos provinces, brûlez nos maisons, achevez votre œuvre. Nous vous combattrons jusqu’au dernier souille; nous pourrons succomber, au moins nous ne serons pas déshonorés. » Il sentait bien cependant qu’il ne pouvait pas rompre. Il avait tout épuisé pour sauver Metz, et ne pouvant sauver Metz, il se retranchait sur Belfort. On lui offrait, s’il voulait céder Belfort, de ne plus insister sur cette entrée des Allemands à Paris dont on faisait maintenant une condition, et bien qu’il fût désireux d’épargner à Paris une humiliation terrible, il préférait encore payer d’une occupation temporaire des Champs-Elysées la conservation d’une ville française. Il se défendait de position en position et, en définitive, après quatre jour de luttes désespérées, il ne pouvait se dérober à la rigueur de ces préliminaires du 26 février qui se résumaient en quelques points tristement caractéristiques : cession de l’Alsace, d’une partie de la Lorraine avec Metz, rançon de cinq milliards garantie par une occupation graduée. Tout ce qu’on avait pu arracher au vainqueur se réduisait à quelques concessions qui n’étaient pourtant pas sans prix. On avait réussi, en sauvant Belfort, à garder une ville que M. Thiers considérait justement comme la citadelle de la patrie mutilée, connue la dernière gardienne de notre frontière. On avait obtenu une petite réduction sur le chiffre primitif de six milliards demandé pour l’indemnité et surtout on avait éludé une sorte de mainmise méditée sur les ressources de la France au moyen d’un syndicat de banquiers allemands qui s’offrait, sous les auspices de M. de Bismarck, à se charger de la réalisation de l’indemnité de guerre. On échappait à ce que j’appellerai une occupation financière parallèle à l’occupation