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avant tout le monde, dût-il, selon son langage, n’être point assuré de trouver jusqu’au bout une complète justice.


IV.

Ce qu’il y avait de peines, de labeurs, de difficultés équivalant presque à des impossibilités dans ces mots de « libération du territoire, » c’est le secret de ces deux années, 1871-1873, pendant lesquelles M. Thiers vivait avec cette pensée, subordonnant tout à ce qu’il considérait comme le premier des intérêts. Il l’avait dit lui-même, dès le début, avec la vivacité d’un sentiment douloureux: « Ce que ces mots contiennent, c’est en première ligne de la dignité ; car pour une grande nation comme la France qui a son passé, qui a sa fierté, voir à la porte, tout près d’ici une puissante armée étrangère, c’est une douleur qui chaque jour me pénètre, dont chaque jour je souffre et qui m’humilie profondément dans mon âme tout entière... » Serrons de plus près ce problème ou ce drame mêlé de chiffres, de calculs, de négociations, d’opérations de crédit, et aussi d’intérêts, de passions venant sans cesse contrarier les combinaisons de la prévoyance.

Au moment où la paix signée en préliminaires à Versailles le 26 février 1871 devenait par le traité de Francfort le fait légal et définitif entre les combattans de la veille, la situation était celle-ci. Les Allemands, après avoir parcouru victorieusement un tiers de la France, restaient en maîtres dans plus de trente départemens à partir de la rive droite de la Seine. Ils campaient aux portes de Paris, dans les forts du Nord; ils étendaient leur dure domination de la Seine-Inférieure jusqu’aux régions du Jura. Même avec l’exécution des premières clauses de la paix qui impliquait de leur part un commencement de retraite, ils devaient tenir encore garnison dans seize départemens. C’était le gage territorial demeurant sous la garde d’une armée d’occupation qui était d’abord de cinq cent mille hommes, qui devait être réduite successivement à cent cinquante mille, puis à cinquante mille hommes entretenus, nourris, hébergés par la France. Ce n’est qu’après l’acquittement d’une partie suffisante de l’indemnité de guerre que l’armée d’occupation devait descendre au chiffre de cinquante mille hommes et que le nombre des départemens occupés devait être réduit à six. Les départemens de la Marne, de la Haute-Marne, des Ardennes, de Meurthe-et-Moselle, des Vosges, de Belfort étaient destinés à être le dernier gage de la solvabilité française entre les mains allemandes. D’un autre côté, la rançon de cinq milliards, dont cette occupation