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redoutable adversaire, on ne faisait pas les conditions tout seul, et que lorsqu’on ne pouvait pas délivrer d’un seul coup son pays, on le délivrait à demi. Il se tenait, lui, pour satisfait de pouvoir se servir de l’autorité et des ressources qui lui donnait un éclatant succès financier pour hâter la libération de quelques départemens.

L’emprunt du 27 juin 1871 avait un autre avantage : en démontrant la solvabilité et le crédit de la France, il tranchait de la manière la plus heureuse une question décisive; en attestant la confiance universelle, il l’appelait. Il ouvrait les voies au nouvel emprunt qui devait devenir nécessaire pour payer les trois milliards qui compléteraient la rançon. Il n’y avait rien d’urgent encore, il est vrai, puisqu’on avait jusqu’au 2 mars 1874 et qu’une convention nouvelle, en divisant les paiemens de la seconde partie de l’indemnité, ajournait même la dernière échéance jusqu’en 1875; mais on ne voulait pas attendre jusque-là. Un peu plus d’un an après l’emprunt du 27 juin 1871, la souscription rouverte le 28 juillet 1872 pour les trois derniers milliards montrait que le premier succès n’avait fait que préparer un succès bien plus grand encore. Cette fois, la somme des souscriptions n’était plus seulement de cinq milliards ; elle s’élevait à 43 milliards de capital, à plus de 2 milliards et demi de rente venant de toutes les parties de l’univers. L’étranger comptait dans ces sommes presque fabuleuses pour près d’un milliard et demi de rente. Tout n’était pas également sérieux dans ces chiffres sans doute. Il y avait de la fiction, du mirage, on ne s’y méprenait pas, et de l’offre à la réalisation il y avait encore loin. La démonstration n’était pas moins significative. Les bulletins de ces journées du 27 juin 1871, du 28 juillet 1872 ressemblaient à des bulletins de victoire, — de victoire financière à défaut des autres victoires qui avaient manqué. M. Thiers, toujours si prompt à s’émouvoir, si prompt aussi à retrouver sa bonne humeur, jouissait intimement de cette vigoureuse renaissance du travail et du crédit, de cette confiance universelle témoignée à la France, de l’empressement qu’on mettait à souscrire aux emprunts, et dans des pages où il a lui-même raconté cette histoire, qui ne verront le jour que plus tard, il a écrit : « Il me semblait être sur un lieu élevé d’où l’on voit, le jour d’une fête, arriver les habitans et les étrangers en tout costume, en tout équipage, et tous en grande hâte pour avoir place à la fête. » Il voyait là les signes de la résurrection française : c’est ce qu’il appelait la fête.

Réussir dans les emprunts, avoir par cela même de quoi suffire à la rançon, c’était beaucoup assurément. Ce n’était pourtant encore qu’une moitié et peut-être même la partie la moins difficile, la moins compliquée de l’œuvre. Ces sommes énormes, obtenues par le crédit,