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dans la grande opération du classement des emprunts français et du transport des capitaux en Allemagne.

Oh! sans doute, on a raison de le dire, dans cette « situation unique où tout était à créer, où il fallait improviser tous les jours,» M. Thiers ne suffisait pas seul à de si grandes affaires. Il avait comme lieutenans dévoués et intelligens ses ministres des finances, M. Pouyer-Quertier d’abord, puis M. de Goulard, M. Léon Say. Il trouvait aussi le plus actif concours dans tous ces modestes « agens du trésor, qui devaient se transformer en banquiers, en cambistes, en acheteurs et vendeurs de métaux précieux, et souvent ne pas reculer devant les plus grosses responsabilités; » mais s’il n’était pas seul, il était le premier à l’œuvre, soutenant ou couvrant tout le monde, réglant pour ainsi dire la marche. Il avait le mot décisif sur toutes les combinaisons, et c’est ainsi que, par lui-même ou par son impulsion, il arrivait à réunir, soit en change étranger représenté par cent vingt mille traites, soit en valeurs de toute sorte, soit en numéraire, une somme qui, en capital et en intérêts payables à Berlin, a dépassé 5 milliards. Ce que le duc de Richelieu, pour l’honneur de son nom devant l’histoire, avait fait après 1815 dans des conditions plus favorables, dans un espace de trois années et pour une indemnité de guerre qui, avec d’autres créances étrangères, n’atteignait pas 1 milliard 1/2, M. Thiers était déjà en mesure de le faire avant que deux ans fussent écoulés depuis 1871 et pour une rançon bien autrement forte. Il était du moins à peu près certain d’un succès qu’il pouvait désormais entrevoir, qu’il avait préparé à travers les difficultés de ses rapports laborieux avec l’Allemagne, au milieu des contestations de partis qui agitaient une assemblée unie par le patriotisme, divisée par toutes les passions de la politique.


V.

Au fond, la grande campagne financière de M. Thiers avait réussi. Par cette série d’opérations habiles, l’instrument matériel de la délivrance était créé, et avec le succès financier croissait naturellement l’impatience d’en finir sans plus attendre avec l’occupation étrangère, de hâter cette libération du territoire, objet de toutes les pensées, premier et dernier mot de toutes les négociations poursuivies depuis la paix. Ces négociations, elles avaient commencé par le fait au lendemain du premier emprunt, et elles avaient passé par des phases diverses.

Dès l’automne de 1871, le 12 octobre, M. Thiers, autorisé par l’assemblée, avait pu signer avec les Allemands une convention