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de prôneurs intéressés qui convoquent à grand bruit autour d’elles le ban et l’arrière-ban des brocanteurs et des désœuvrés ; la galerie des antiques n’est pas et ne sera jamais un de ces endroits où le tout Paris des premières représentations se donne rendez-vous, comme il le fait à certains jours au salon des Champs-Elysées ou dans les expositions payantes ; elle ne saurait devenir un de ces lieux où l’on va moins pour voir que pour être vu. C’est aussi que les deux sexes sont mal préparés, par l’éducation qu’ils reçoivent, à comprendre l’importance de l’œuvre d’art ; la faute en est, dans une certaine mesure, à ceux qui rédigent les programmes ; elle est surtout à ceux qui les appliquent ; ils ne semblent pas avoir encore saisi cette vérité, que l’histoire du passé n’est pas tout entière, qu’elle n’est même que pour une faible partie dans les dates et dans ce qu’on appelle les faits. Ils ne paraissent pas soupçonner que la véritable histoire, c’est celle des sentimens et des idées, des mœurs et des croyances, ni que cette histoire s’apprend bien moins dans les tableaux chronologiques et dans les récits de batailles que dans le poème et dans l’image peinte ou sculptée où chaque peuple a mis le meilleur de son âme. L’histoire littéraire est assez largement représentée dans nos études ; mais il n’en est pas de même de l’histoire de l’art. Les programmes officiels, dans ces derniers temps, lui ont bien fait une petite place dans les examens universitaires ; mais si l’on s’avise d’interroger sur ces questions les candidats mêmes qui se croient le mieux préparés, ils vous regardent d’un air ébahi, ils ne savent que dire ; ni leurs professeurs, ni leurs parens n’auront eu l’idée de les conduire, ne fût-ce qu’une fois, dans le salon carré du Louvre et de leur y faire passer une heure ou deux. Tel fort en histoire, comme on dit au lycée, vous décrira toutes les marches et contre-marches de Turenne et de Montecuculli, du maréchal de Saxe et de Frédéric le Grand, avec autant de précision que s’il se préparait à l’École supérieure de guerre ; mais il n’aura pas vu une seule toile de Poussin ou de Lesueur, mais il ne connaît pas plus Watteau ou Greuze que s’ils avaient vécu en Chine, et cependant, pour ne parler que du XVIIIe siècle, le moindre tableau de l’un de ces maîtres nous en apprend bien plus sur ce temps que toute l’histoire-bataille, comme l’appelait avec dédain Alexis Monteil ; il vous révèle avec bien autrement de force et de clarté le brillant génie de cette époque, le tour à la fois sentimental et sensuel de son imagination, le raffinement de ses habitudes sociales et la manière très particulière dont il comprenait la vie et la nature.

On s’explique donc, sans s’y résigner, cette sorte d’abstention et de parti-pris ; en tout cas, le fait est incontestable. Jeunes hommes qui reçoivent une éducation dite libérale, hommes mûrs qui ont la prétention d’être instruits, jeunes filles brevetées et diplômées