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On comprend que ni les indigènes, ni les Européens ne se hasardent volontiers dans la région où les tribus arabes jouissent de cette sauvage indépendance. Ici le costume franc n’est pas, comme en Asie-Mineure et en Syrie, un porte-respect suffisant. On ne va guère de Bagdad à Bassorah qu’en bateau à vapeur ; si quelques caravanes prennent la route de terre, elles font un long détour, par la rive gauche du Tigre, pour longer le pied des montagnes du Luristan et du Khuzistan, de manière à se tenir en dehors de la contrée que parcourent, au galop de leurs chevaux, les pillards arabes. La Chaldée proprement dite, c’est-à-dire la plaine qui se trouve comprise entre les deux fleuves, du site de Babylone au confluent du Tigre et de l’Euphrate, est encore aujourd’hui une des contrées les plus inaccessibles et les plus rarement visitées qu’il y ait dans tout l’empire turc. Si M. de Sarzec put la parcourir à petites journées, il le dut surtout aux relations amicales qu’il avait nouées avec de puissans cheiks arabes et à la protection qu’étendaient sur lui ces chefs redoutés.

Lorsque le consul parcourut la Basse-Chaldée, le sauf-conduit que lui avait donné l’émir des Montefiks, Nassir, suffit à rendre sa personne sacrée et à lui permettre de passer partout. Il avait vu Niffer, Mougheîr, Warka et beaucoup d’autres sites où les Anglais avaient fait des trouvailles intéressantes ; ce fut ainsi qu’il arriva dans un endroit nommé Tello, où ne s’étaient jamais arrêtés les explorateurs précédens ; il l’examina, et, décidé à y tenter la chance, il recruta facilement des travailleurs parmi les Arabes du voisinage. Ce fut là que, dans l’hiver de 1876, il commença les fouilles dont les résultats ont été si mémorables.

Le lieu désigné par les Arabes sous le nom de Tello, à cause de ses tells ou monticules artificiels, est en plein désert, sur la rive gauche du Chat-el-Haï, à une heure un quart de marche vers l’est, en amont de Châtra et en aval de Saïd-Hasan, qui sont sur l’autre rive du canal[1]. Par rapport aux ruines les plus célèbres de l’ancienne Chaldée, Tello se trouve à quinze heures de marche au nord de Mougheir et à douze heures à l’est des ruines de Warka. Quand les circonstances sont favorables et que les marais de l’Euphrate se laissent traverser, on peut aller en trois ou quatre jours de Bassorah à Tello ; mais il est parfois nécessaire de faire un très long détour, de remonter le Tigre jusqu’à Kout-el-Hamâra, puis de descendre

  1. Tello ne figure sur aucune des cartes de cette région ; mais on trouvera Saïd-hasan et Chatra, qui peuvent servir à déterminer approximativement la situation de Tello, sur la carte qui accompagne le voyage de Loftus (Travels and Researches in Chaldœa and Susiana, in-8o ; Londres, 1857). Nous empruntons ces détails topographiques à une lettre de M. de Sarzec qui a été communiquée à l’Académie des inscriptions dans sa séance du 2 décembre 1881.