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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/549

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été une imprudence que de chanter trop tôt victoire et de provoquer ainsi une concurrence et des conflits où nous n’aurions pas eu le dernier mot. Quelques ressources pécuniaires et l’appui de notre ambassade furent assurés à M. de Sarzec ; on décida qu’il repasserait par Constantinople pour y solliciter un firman qui lui permît de fouiller au grand jour et d’enlever tous les monumens qui lui paraîtraient valoir la peine d’être emportés.

Notre consul suivit ce programme ; après un long séjour à Péra, il finit par obtenir l’iradé impérial. Enfin, à l’automne de 1879, il rentrait à Bassorah, ramenant avec lui une jeune femme que n’avait pas effrayée la perspective de ce voyage et de cet exil. Mme de Sarzec s’est vaillamment associée à toutes les entreprises, à toutes les fatigues et à tous les dangers de l’époux qu’elle avait choisi ; il est juste qu’après avoir été au péril, elle soit à l’honneur et que son nom ne soit pas oublié dans le récit de ces découvertes dont elle a suivi jour par jour tous les incidens et partagé toutes les émotions.

Les mois d’hiver pouvaient seuls être consacrés aux fouilles ; en mai et en juin, la plaine était couverte par l’inondation, et l’été, la chaleur eût rendu tout travail impossible. M. de Sarzec employa donc à terminer le déblaiement des édifices de Tello les hivers de 1879 et de 1880. Il ne faut pas se figurer que, dans l’intérieur de la Mésopotamie, cette saison soit aussi clémente qu’en Égypte ou sur les rivages du Golfe-Persique ; on a ici tous les désavantages d’un climat continental. La mer n’intervient pas pour modérer les températures extrêmes des saisons opposées. L’été, pas de brises rafraîchissantes ; l’hiver, les vents du nord qui ont couru sur les plaines glacées de la Russie, de la Sibérie et de la Tartarie, puis sur les neiges des hautes montagnes de l’Arménie et du Kurdistan balaient, sans rencontrer d’obstacle, les grandes plaines de l’Assyrie et de la Chaldée ; ils donnent l’onglée au cavalier. Loftus a vu, le matin, pendant que le soleil brillait dans un ciel clair, des Arabes tomber de leur selle, engourdis par le froid. S’il fait chaud et parfois très chaud à midi, bien souvent à l’aube le thermomètre descend à zéro. On n’a pas oublié combien fut rude, en Europe, l’hiver de 1879 à 1880 ; la même influence se fit sentir en Chaldée. Cette année-là, une nuit, M. de Sarzec constata 7 degrés au-dessous de zéro, non pas même à l’air libre, mais entre l’enveloppe extérieure de la tente et son réduit intérieur, dans l’espèce de couloir couvert qui entourait la chambre de toile où il couchait. Dans toute cette région, beaucoup de dattiers périrent.

La vie sous la tente dans de pareilles conditions est accompagnée de bien des souffrances. Ce qui la rendait plus dure encore, c’était l’éloignement des ruines et l’insécurité du pays.

Comme il n’y avait pas à Tello, pendant la saison sèche, une seule