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l’église; on apprend à lire pour pouvoir lire les textes saints; la religion et l’instruction se confondent à demi. Nous pourrons, si nous voulons, diriger ces tendances et en tirer un parti excellent. Beaucoup de musulmans reçoivent dans nos collèges d’Algérie une solide instruction française et souvent nous avons recruté parmi eux des instituteurs pour notre compte. On trouverait facilement dans leurs rangs vingt ou vingt-cinq jeunes hommes qui apprendraient à la masse des enfans des villes et des gros villages tunisiens à connaître le français. L’enseignement religieux resterait le même, car sans cela ces écoles seraient tenues en défiance; il faudrait laisser aux thalebs du pays le soin d’enseigner les pures doctrines du Prophète; ils y consentiraient pour un salaire minime. Et quant aux instituteurs mêmes, des traitemens de 1,200 francs environ leur suffiraient. Le mobilier scolaire serait insignifiant, les enfans travaillant accroupis sur des nattes; des planchettes de bois, des calâmes ou roseaux à écrire, un peu de papier, suffisent. De telles institutions prospéreraient ; il n’y a guère d’Arabes à l’heure qu’il est dans les villes ou bourgades qui ne désirent savoir le français ; leurs enfans sont enchantés d’en apprendre quelques mots à écouter nos soldats. On viendrait volontiers dans ces écoles quand on saurait que la foi y serait respectée et qu’aucun contact d’israélite ou de chrétien ne serait à craindre. « Si on faisait aujourd’hui une pareille école ici, me disait l’agent de France à Béja, elle aurait demain deux cents élèves; tous les notaires y enverraient d’abord leurs enfans; tous les petits commerçans qui vendent leurs denrées à notre armée suivraient l’exemple; en peu d’années la moitié de la ville parlerait français. »

Le nombre des élèves suivant les cours ayant beaucoup plus d’importance que le degré avancé de l’instruction, on pourrait régler la rétribution des instituteurs d’après le système qui donne en Angleterre de si bons résultats, c’est-à-dire leur attribuer annuellement une somme fixe, plus une somme proportionnelle au nombre de leurs élèves. Les vérifications devraient être confiées à l’agent français le plus proche, qui aurait à visiter les écoles de sa circonscription deux ou trois fois par an et à faire sur elles un rapport détaillé. Il n’est pas besoin de montrer que ces tournées, fort utiles au point de vue de l’instruction, ne le seraient pas moins au point de vue politique et qu’une foule de renseignemens précieux pourraient, grâce à elles, être recueillis.

De même que l’instruction, la justice tunisienne demandera des réformes, mais de même aussi, tout n’y est pas à détruire et nous devrons utiliser une partie de ce qui existe déjà. Les Européens sont, comme on le sait, jugés par leurs consuls, grâce aux capitulations, qu’il faudra nécessairement supprimer; les indigènes sont