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pénétrer dans la chambre de Mlle de Rohan. Pour s’excuser, Mme de Coué allégua qu’il était bien difficile d’en refuser l’entrée au duc. Sans dire un mot de plus, la reine se retira. Dans la journée du lendemain, elle fit venir Mlle de Rohan dans ses appartemens privés, où se trouvaient déjà réunis le roi, le connétable, le cardinal de Lorraine, Mme la connétable, la duchesse de Montpensier et Diane de Poitiers. Prenant le premier la parole, le connétable, « ce grand rabroueur, » se montra bien dur pour la pauvre pécheresse. Françoise tenait dans sa main une liasse de lettres ; elle la tendit à la reine, qui en lut une et passa les autres aux dames qui l’entouraient. Françoise espérait que leur lecture suffirait, sinon pour couvrir sa faute, du moins pour l’atténuer. L’illusion ne fut pas longue : pas une lueur d’indulgence ne brilla dans les yeux de Catherine ; sans lui adresser une seule parole d’espoir, elle rendit les lettres à la jeune fille et lui fit signe de se retirer.

Jacques de Savoie, duc de Nemours, était fils de Philippe, duc de Savoie et de Charlotte d’Orléans-Longueville. Né le 12 octobre 1531, il avait alors vingt-six ans. Dans son roman de la Princesse de Clèves, Mme de La Fayette l’a pris pour type de son héros. Brantôme, auquel elle a emprunté le portrait qu’elle en trace, a dit de lui : « Très beau prince, de très bonne grâce, brave, vaillant, bien disant, bien écrivant, s’habillant des mieux. Celui qui ne l’a pas vu en ses années gaies n’a rien vu, et qui l’a vu peut le baptiser la fleur de toute chevalerie ; c’est le fort aimé des dames ; il en a tiré des faveurs et bonnes fortunes plus qu’il n’en vouloit. »

Nous n’avons pu retrouver du duc de Nemours que deux gravures faites, sans aucun doute, d’après les portraits du temps : l’une en buste, l’autre en pied. Dans la première, la tête, coiffée d’une toque de velours noir posée cavalièrement sur l’oreille, se détache d’une haute fraise tuyautée ; les yeux, surmontés de sourcils délicatement dessinés, sont expressifs mais audacieux ; la bouche, que laisse entrevoir une moustache relevée, est fine et un peu fuyante ; la barbe est taillée en pointe, suivant la mode de l’époque. Le caractère distinctif de ce visage, dont l’ovale est d’une régularité parfaite, serait la grâce, si un nez aquilin fièrement planté n’y ajoutait l’énergie. Dans la gravure en pied, qui rappelle les mêmes traits, la taille est svelte et élancée ; c’est bien la distinction, le grand air du gentilhomme de race. L’exquise élégance de cet arbitre souverain de la mode se révèle à la richesse du costume et à la façon princière dont il est porté.

Après l’éloge si pompeux que Brantôme nous a laissé du duc de Nemours, on se demande par quel charme Françoise de Rohan put captiver si longtemps ce brillant coureur d’aventures. À l’exemple de sa mère et de Jeanne d’Albret, elle s’était, l’une des premières,