Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/661

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que je ne vous aye vue et recevez-moi ce soir dans votre chambre. » Il lui en arracha la promesse. Françoise et Mme de Castres, après avoir reconduit la reine dans ses appartemens, revenant ensemble, le duc, qui les attendait dans la grande galerie, les sépara en se mettant entre elles deux, et, ayant ramené Mlle de Castres chez elle il entra dans la chambre de Françoise. Ils s’assirent tous deux devant une grande table près de la cheminée. Prenant le premier la parole : « Ne partez pas, je vous en supplie, dit Nemours, votre mère vous rappelle pour vous marier, ne le faites pas. » Françoise le laissa dire, écouta toutes les promesses, tous les sermens qu’il lui prodigua ; puis, prenant à son tour la parole : « Ma mère me rappelle, il est vrai, dit-elle, je pars demain, mais ma mère ne m’auroit pas écrit que je serois partie tout de même. Vous faites la cour à une autre femme : elle s’est vantée qu’elle feroit rompre notre mariage et qu’elle vous marieroit à une autre. — N’en croyez rien, répliqua le duc ; la femme qui a tenu ce méchant propos me hait, » et, après de longues protestations, il finit par lui dire : « Sur mon honneur, je vous prends pour femme ; dites que vous me prenez pour votre mari. — Je vous prends pour mon mari, » dit-elle, de sa voix la plus tendre. Les femmes de Françoise, qui n’avaient pas quitté la chambre, entendirent ce double serment.

Françoise resta un an en Bretagne, des lettres du duc vinrent souvent l’y trouver. Il lui envoya des bas de soie, des chausses de diverses couleurs, mais ni les lettres ni les présens ne l’arrachèrent à ses préoccupations ; elle passa par toutes les angoisses du doute et de l’attente. Elle avait dans son voisinage un jeune poète nommé Rivaudeau. Elle lui confia le triste état de son âme, comme nous le voyons par quelques vers, d’ailleurs médiocres, où il y fait allusion.

Ce ne fut que le 22 avril 1556 que Françoise revint à Blois, où l’appelait son service auprès de la reine. Le duc l’y rejoignit aussitôt et reprenant ses visites du soir, les fit peu à peu plus fréquentes et les prolongea plus avant dans la nuit. Lorsque Mme de Coué, la peu vigilante gouvernante de Françoise, lui faisait observer que de telles assiduités la perdaient de réputation, il répondait invariablement : « Ne suis-je pas un homme d’honneur ? Ne suis-je pas son mari ? N’est-elle pas ma femme ? » cette année d’absence avait brisé les forces de Françoise ; en dehors du duc, elle voyait son avenir perdu, car elle s’était gravement compromise. L’heure fatale de sa destinée approchait ; elle était au bout de sa résistance et c’est de sa bouche même qu’en est tombé le triste et sincère aveu. « Finalement, dit-elle, étant grandement pressée et me disant le duc que c’étoit le seul moyen qui pouvoit hâter le moment des épousailles, je condescendis à lui accorder ce qu’il voudroit. »

Une femme qui s’est donnée une fois est fatalement condamnée