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plumes en retiennent la teinte, pareille à ces étoffes d’abord blanches, que les nègres de Tombouctou plongent dans les bassines de cuivre pour les retirer ensuite colorées en bleu[1].

— As-tu les bêtes et les fleurs? répliqua le chef.

— Oui, j’ai caché les unes et les autres dans un massif de palmier-nain, à l’entrée de l’oasis.

— Va les chercher.

L’étranger courut et une demi-heure après rapporta une cage faite de latanier et ombragée par de magnifiques roses jaunes. Dans l’intérieur se trouvait une nichée de tourterelles bleues à pattes de rubis et aux yeux de perles. Tout ce petit monde gazouillait, heureux de vivre, abrité du soleil par le toit odorant que formaient au-dessus de lui les tiges du rosier, disposées artistement par le conquérant de cette nouvelle toison d’or.

Des esclaves portèrent avec des cris de joie la cage à Néfissa. Quant aux hommes, envieux et méchans, ils firent cercle autour de cet inconnu qui, plus habile et plus brave qu’eux, satisfaisait enfin aux vœux de Néfissa.

— Qui es-tu? dirent-ils tous à la fois, et leur bouche s’ouvrait déjà pour lancer l’injure, lorsque Kouïder les arrêta d’un geste.

Ils se turent.

L’étranger les regarda. Son fier regard dévisageait chacun d’eux.

— Qui je suis? exclama-t-il, avez-vous besoin de le savoir? Que vous importe? pouvez-vous aussi bien que moi fixer le soleil? vos pieds sont-ils faits pour la marche, et, sans vos chaussures de peau, pourriez-vous, sur les rochers en saillie, marcher seulement l’espace de dix bonds de gazelle?

— Vagabond insolent! s’écrièrent les djouads[2].

— Impuissans, restez donc muets, vous qui n’avez su triompher ni du soleil, ni des neiges, ni de la dent des roches, répondit l’insulté.

Cette apostrophe exaspéra ceux des prétendans de Néfissa qui se trouvaient présens. Un cercle menaçant se forma autour de l’étranger, et sans l’intervention de Kouïder, c’en était fait de cet homme dont l’ironie hautaine bravait leur courroux.

— mes enfans, s’écria le chef de la djammah, oubliez-vous que l’hôte que Dieu nous envoie est sacré? Voudriez-vous que Dieu vous punisse, lui qui a dit qu’il ne sera jamais fait de mal à la main qui aura donné ?

Il ne fallait rien moins que cet appel aux traditions hospitalières de l’oasis pour calmer soudainement les djouads, fidèles observateurs

  1. Les tissus du Soudan sont généralement teints avec le nifa ou indigo.
  2. Nobles.