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s’écriait-il, et contre qui ? La guerre ! et avec quelles chances de succès ? La guerre ! et par quels moyens ? Vous avez contre vous la Hollande, contre vous la Confédération germanique, contre vous les cinq grandes puissances… Entreprendre une guerre agressive de quelque côté que ce soit, c’est vous précipiter dans les aventures et vous mettre au ban de l’Europe. Pour tenter de ces choses comme assemblée nationale, il faut s’appeler la convention ; pour faire de ces choses comme prince, il faut s’appeler Napoléon, et quand on ne réussit pas, on s’appelle dans l’histoire le congrès belge de 1789. »

Après avoir été successivement secrétaire-général du département des affaires étrangères et l’orateur du gouvernement dans toutes les questions importantes, puis ministre des travaux publics, puis ministre de l’intérieur, le baron Nothomb quitta Bruxelles pour Berlin, donna en 1848 sa démission de député à la chambre des représentans et résolut de se confiner pour le reste de sa vie dans l’exercice de ses fonctions diplomatiques. Un jour que je lui demandais si cette décision ne lui avait pas coûté, il me répondit qu’il avait regretté pendant longtemps les émotions de la tribune et le délicieux supplice des discussions publiques. Il ajouta en souriant : « Que voulez-vous ? J’étais trop raisonnable, et rien n’est plus déraisonnable que de prétendre avoir raison contre tout le monde. » Il appartenait à cette classe de libéraux à qui il répugne beaucoup de mettre leur talent au service des passions d’une secte. Il avait été l’un des chefs de ces unionistes qui désiraient qu’on évitât tout conflit avec l’église et qui étaient disposés à ne lui tenir tête que dans les grandes choses, à la satisfaire dans les petites. Or, en Belgique, la question religieuse est devenue le fond de la querelle des partis. M. Nothomb estimait que « lorsqu’un groupe de vainqueurs profite d’un jour de grande fortune pour imposer ses vues à un pays, il court risque de voir son œuvre disparaître avec la conjoncture d’où elle est née.» Il jugeait que le fond de la politique est raccommodement. Il se flatta longtemps que la lutte pourrait être ajournée, qu’on transigerait de part et d’autre, qu’après avoir fait de l’histoire, on se contenterait de faire de l’administration, que les questions de finances et de travaux publics auraient le pas sur les questions de partis. Il ne tarda pas à se convaincre du contraire ; il eut le chagrin de se voir traité de renégat par ses amis les libéraux et défendu contre eux par les cléricaux, ses ennemis. A la longue, une telle situation n’est pas tenable ; on prend son portefeuille en dégoût et on est heureux de s’en aller à Berlin.

Si le baron Nothomb n’eut pas à se repentir de la décision qu’il avait prise, s’il se trouva bien de son exil volontaire, la Belgique n’eut aussi qu’à s’en féliciter. Elle a eu d’excellens ministres de l’intérieur, elle n’a guère eu de diplomates qui l’aient aussi bien servie que son ministre plénipotentiaire à Berlin. Comme on l’a dit, le métier de