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doit le tenir. Dans le manuscrit primitif d’Héloïse, que M. Durantin vient de publier avec son titre, Mademoiselle de Breuil, ce coquin de Cavagnol, qui s’appelait alors d’Egrignoux, se faisait payer son consentement au mariage de Camille et son départ pour l’étranger; rien de plus simple et de plus vraisemblable. M. Dumas fils a imaginé cet artifice par lequel l’union de Cavagnol et d’Héloïse est censée nulle ; il l’a imaginé sciemment, persuadé que le plaisir du public en serait accru: il ne s’est pas trompé. M. Dumas est homme de théâtre: il a pour le public ce mépris accommodant, qui sert l’agrément du public et l’utilité de l’auteur; chacun y trouve son bien. S’il avait eu connaissance de la pièce de M. Becque, sans doute il l’aurait averti : « Hé quoi! se serait-il écrié, vous faites fond sur le sérieux des gens ! Votre comédie en deuil est une comédie d’affaires et vous croyez qu’on va la suivre! Votre deuxième acte, d’un bout à l’autre, semble signé Balzac! C’est honorable. César Birotteau est un beau livre à lire à tête reposée, les pieds sur les chenets, et pourvu qu’on le ferme aussitôt qu’on a le cerveau fatigué. Mais César Birotteau à la scène!.. On préfère les Pilules du diable! C’est parce que l’argent intéresse les hommes tout le jour que vous prétendez, vous, qu’il les intéresse le soir? Mais c’est justement le contraire; une question d’argent, au théâtre, ne touche les gens que traduite en question de sentiment. Que l’héroïne ou le héros soit ruiné ou enrichi, cela importe, et quel effet fera sur l’un la ruine ou la richesse de l’autre; mais comment ruiné? enrichi comment? Cela n’importe. Mieux vous l’expliquerez et plus vous ennuierez le public. Vous invoquez la raison d’art? Vous êtes incorrigible. » — Et M. Becque, en effet, ne se fût pas corrige! — Alceste peint ce qu’il voit, et non ce que les autres veulent voir; il le peint de son mieux et n’admet que sa conscience pour juge : si le cœur lui dit de faire des pièces, après qu’il aura fui Célimène, Alceste sera, pour son plaisir, auteur dramatique dans le désert.

C’est que cette comédie en deuil, cette comédie d’affaires, est, en effet, l’œuvre d’un misanthrope, ou du moins d’un pessimiste! Ainsi juge le public; or l’ouvrage d’un pessimiste est mauvais pour la digestion. A vrai dire, en y regardant bien, ce n’est peut-être pas l’auteur qui voit tout en pire; c’est le public qui demande à voir tout en mieux: cela revient justement au même. On a payé sa place pour passer une bonne soirée : vainement l’auteur se défendra contre l’optimisme déçu. Vainement, à ceux qui s’étonnent de ne pas voir auprès de ces femmes, pour les défendre, un véritable honnête homme, il répondra que Vigneron, bourgeois parvenu, a pu quitter ses vieilles relations sans en acquérir de nouvelles et que, dans Paris, la grande ville, on trouverait beaucoup de gens qui n’ont pas un ami. On reproche à son notaire, Me Bourdon, d’être cynique : répondra-t-il qu’il ne l’est pas, sinon peut-être en