où parlant de Venise, on vous dira que la mer :
Ne la respecte plus et chaque jour dérobe
Un des pans dégradés de sa superbe robe.
Il faut reconnaître néanmoins que cette invocation dantesque a par momens de fiers coups d’aile. Parcourez le Campo Vaccino, qui dans l’architecture du volume forme pendant au Campo Santo, dont quelques sonnets le séparent, et les occasions d’admirer ne vous manqueront pas. Comme composition, tous ces poèmes se ressemblent, ou, pour mieux dire, il n’y a point de composition. Ce sont des cadres où les visions du poète se déroulent et qu’il anime et peuple au hasard de sa pensée sur l’accident du jour et de la veille. Ainsi, par exemple, la nouvelle se répand que Goethe vient de mourir et là, brusquement, tout de suite, par la seule puissance de l’invocation, vous voyez surgir dans la perspective la grande figure du Jupiter de Weimar :
O Goethe, ô grand vieillard, prince de Germanie,
Penché sur Rome antique et son mâle génie,
Je ne puis m’empêcher, dans mon chant éploré,
À ce grand nom croulé d’unir ton nom sacré,
Tant ils ont tous les deux haut sonné dans l’espace.
Tant ils ont au soleil tous deux tenu de place.
Et dans les cœurs amis de la forme et des dieux,
Imprimé pour toujours un sillon glorieux !
Puis, l’essor se continuant, une nouvelle invocation l’aide à rentrer dans son sujet, et c’est alors de Léopold Robert et de son tableau des Moissonneurs, — le grand succès de l’heure présente, — qu’il s’inspire en des vers dont la magnificence vous force à vous écrier avec Horace : Ut pictura poesis !
O vieille Rome, ô Goethe, ô puissances du monde!
Ainsi donc votre empire a passé comme l’onde.
Comme un sable léger qui coule dans les doigts,
Comme un souffle dans l’air, comme un écho des bois!
Adieu, vastes débris ! dans votre belle tombe
Dormez, dormez en paix, voici le jour qui tombe.
Au faîte des toits plats, an front des chapiteaux,
L’ombre pend à longs plis comme de noirs manteaux.
Le sol devient plus rouge et les arbres plus sombres,
Derrière les grands arcs, à travers les décombres,
Le long des chemins creux mes regards entraînés.
Suivent des buffles noirs deux à deux enchaînés ;
Les superbes troupeaux à la gorge pendante.
Reviennent à pas lents de la campagne ardente.
Et les pâtres velus, bruns, et la lance au poing,
Ramènent à cheval des chariots de foin.