faire, il nous le dit lui-même dans l’avant-propos : « La tragédie de Shakspeare est écrite en vers blancs mêlés de prose; j’ai rendu le vers par le vers, la prose par la prose. Le vers à enjambement et césure mobile, tel que la nouvelle école poétique l’emploie, est celui qui m’a semblé exprimer le mieux la liberté du vers anglais, tantôt rimé, tantôt sans rime et non terminé. »
Vers cette époque de 1847 où Barbier entreprit sa traduction, le mouvement romantique commençait à se ralentir. On avait moins de fougue et plus de sagesse ; l’Othello d’Alfred de Vigny, le Roméo et Juliette et le Macbeth d’Emile Deschamps sont des traductions de combat; le Jules César est l’œuvre d’un esprit en train de se rasseoir, besogne estimable de lettré, où le ton familier du dialogue tourne trop souvent au prudhommesque ;
Brutus, depuis un temps, je pense fort à vous,
J’observe vos façons et trouve avec tristesse
Que vos regards n’ont plus ces éclairs de tendresse
Qui sur moi rayonnaient habituellement.
Autre part, il emprunte à la langue de Corneille des tournures
qu’il a l’air de croire « plus énergiques et plus pittoresques » et
qui ne sont au demeurant que des chevilles :
Si vous m’aimez vraiment, ah ! serais-je à vos pieds,
Brutus? Lorsque l’amour eut nos deux cœurs liés,
Mit on dans le contrat que jamais votre femme
Ne participerait aux secrets de votre âme?
Et plus loin César, emperruqué du même archaïsme, s’écriera :
Ai-je donc tant de terres conquises
Pour n’oser parler vrai devant ces barbes grises?
Des grands poètes de notre temps. Barbier fut peut-être le moins
artiste : artiste, expliquons-nous, en tant qu’initié au secret de l’art
des vers. Il n’avait rien de ce talent qui rend l’homme impeccable
et fait qu’un André Chénier vous intéresse même pendant les silences
de l’imagination : amica silentia, dirait-on volontiers, car ils vous
occupent encore par le charme et la curiosité du détail. Chez l’auteur des Iambes aucune compensation de ce genre; dès qu’un certain magnum spirare cesse de le soutenir, il tombe au-dessous du
médiocre. Ainsi de ce Jules César, où se rencontrent parmi des platitudes innombrables des vers d’une belle venue tels que ceux-ci: