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d’Algérie croît de son propre mouvement, en supposant même arrêté tout afflux du dehors. Les statistiques du docteur Ricoux et celles de l’état civil sont décisives sur ce point capital. L’Européen vit parfaitement et se multiplie dans l’Afrique du Nord. Chose curieuse même, le Français, qui a perdu sa fécondité en France, semble la retrouver en Algérie. En 1880, les naissances dans la population européenne s’élevaient à 13,123 et les décès à 12,185; c’est un excédent de 1,000 environ pour les premières; mais parmi les décès figurent 536 militaires; si l’on ne tient compte que de la population européenne civile, l’excédent des naissances est de 1,475 supérieur, comme proportion, à l’excédent habituel en France. Toutes les nationalités, il est vrai, ne sont pas également prolifiques en Algérie : ce sont les Espagnols qui tiennent la tête avec 4,636 naissances contre 3,864 décès, puis les Italiens avec 1,089 naissances contre 905 décès, ou plutôt., comme rapport des naissances à la mortalité, les Italiens priment même les Espagnols; les Anglo-Maltais sont dans le même cas, offrant 500 naissances contre 412 décès; quoique un peu moins bien partagés, les Français sont encore dans des conditions satisfaisantes ; ils comptent 6,523 naissances contre 6,088 décès, ce qui est un excédent de 435. En définitive, les Français, qui forment près de la moitié de la population, figurent aussi presque exactement pour la moitié dans le nombre des naissances et ne fournissent qu’un peu plus de la moitié des décès. Leur résistance au climat est donc bien démontrée. Si les Européens vivent et multiplient dans notre Afrique, ce n’est pas qu’ils s’enferment tous dans les villes, fuyant le travail et la chaleur du jour; le plus grand nombre est occupé dans les chantiers ou à la culture. Au 1er septembre 1878, le nombre des colons ruraux était évalué à 138,510 ; il est vraisemblable qu’au moment où nous écrivons, il a atteint 160,000 ou même 180,000. En y joignant tous les Européens qui sont employés à la récolte de l’alfa et aux travaux publics divers, on doit dépasser 200,000.

Que l’Algérie puisse devenir une colonie européenne florissante, les chiffres officiels qui précèdent en fournissent la preuve irréfutable. Mais n’est-ce pas une colonie étrangère que nous irions fonder à notre insu? N’est-ce pas un œuf espagnol ou italien que la grande patrie française couverait et ferait éclore avec tant de sollicitude et de souci? Dans ce siècle de la vapeur et des rapides déplacemens d’hommes, une colonie est ouverte à tous et reçoit les élémens les plus variés. Aucune ne peut être complètement nationale. La Nouvelle-Zélande et l’Australie, par leur éloignement, font jusqu’ici exception. Le Canada est à moitié français, les États-Unis sont en train de se germaniser, la république Argentine et l’Uruguay de s’italianiser. L’Algérie offre le même caractère à un degré peut-être