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Européens se multiplieront. Depuis le commencement de l’opération, les titres de propriété ont été délivrés pour 195,000 hectares; ils sont en préparation et à un certain degré d’avancement sur 1,232,000 autres. Si ce travail est poursuivi avec intelligence et avec un soin scrupuleux dans les régions les plus favorables du Tell, la colonisation y trouvera de grandes facilités. Ce n’est pas qu’il soit le moins du monde désirable que les indigènes cèdent aux Européens la plus grande partie de leurs terres. Ils ne sont pas eux-mêmes nécessairement, comme on pourrait le croire, de mauvais cultivateurs. A diverses reprises, le rapport du secrétaire-général du gouvernement dissipe à ce sujet des préjugés très répandus : « Les terres sont mieux amendées; les méthodes de culture sont perfectionnées; chez la population rurale indigène même, il se produit une révolution culturale qui promet beaucoup pour l’avenir... Un grand nombre d’indigènes, reconnaissant la supériorité de nos méthodes culturales, les ont adoptées. Plusieurs même font aujourd’hui partie de nos associations agricoles et obtiennent des récompenses dans les concours. » On voit, en effet, dans les statistiques de l’Algérie qu’il se rencontre des propriétaires arabes qui ont des faucheuses, des moissonneuses, des râteaux à cheval et des machines à battre. Ce sont ces hommes que l’on prétend exproprier! Qu’on les laisse paisibles possesseurs de leurs domaines et, le temps aidant, ils en vendront des parcelles aux Européens quand ils s’apercevront qu’ils ont des étendues excessives, dépassant leurs propres moyens de culture. Par la seule action des transactions amiables entre indigènes et Européens et du morcellement, la population rurale agricole européenne pourrait aisément quintupler ou sextupler avant la fin du siècle et atteindre alors un million d’âmes, auquel viendrait s’ajouter un nombre non moins grand d’ouvriers, d’artisans et de colons urbains. Dans la situation où se trouve aujourd’hui l’Algérie, la colonisation officielle par la création de centres est un anachronisme. Que l’état emploie en voies ferrées, en chemins, en canaux, en irrigations, en aménagement des eaux, en dessèchement, les 4 ou 5 millions qui figurent annuellement au budget pour la fondation de villages et les 50 millions qu’on demande à la chambre, on aura rendu à la colonie, sans l’exposer à aucun risque, un service beaucoup plus réel.

Si l’abandon immédiat du système d’expropriation des Arabes est une nécessité de justice et de prévoyance politique, il est, d’autre part, indispensable de soumettre les Arabes à un régime administratif et politique qui soit plus empreint de bienveillance. On a substitué en Algérie le régime civil au régime militaire : le territoire dit de commandement, quoique encore vaste, ne renferme