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arabe bien des hommes qui ont été élevés en France dans nos collèges, qui ont même fréquenté nos écoles supérieures ; nous ne pouvons éternellement les traiter comme des sujets sans droits, ni mettre à l’octroi de ces droits cette condition qu’ils abandonneront leur religion. La représentation des Arabes à notre parlement national est devenue une nécessité. On ne peut discuter que sur le mode d’application. Donnera-t-on simplement à certaines catégories d’Arabes, à ceux par exemple qui ont servi dans l’armée française ou qui ont rempli des fonctions publiques quelconques, ou bien encore à ceux (au nombre de 38,366 en 1880) qui sont déjà électeurs municipaux, leur donnera-t-on simplement le droit de participer pro parte virili à l’élection des députés et des sénateurs algériens ? Préférera-t-on octroyer à ces catégories et à quelques autres d’indigènes le droit de nommer un député et un sénateur? On peut hésiter entre les systèmes, mais on ne peut repousser le principe. Dans l’intérêt de la sécurité à venir, du développement régulier de notre colonie algérienne, dans l’intérêt suprême de la France, qui ne peut se résigner à la perspective d’insurrections africaines indéfinies, on doit, cinquante-deux ans après notre débarquement en Afrique, inaugurer à l’égard des indigènes, au moins de ceux du territoire civil, un régime plus libéral. Les réformes indispensables consistent en quatre mesures : abandon immédiat du système d’expropriation des Arabes pour donner leurs terres aux colons ; abolition en territoire civil des prétendus délits spéciaux à l’indigénat et des formalités qui s’y rattachent ; recrutement meilleur et surveillance sévère des agens de l’autorité; enfin octroi de droits électifs à certaines catégories d’indigènes pour la représentation à notre parlement national. Nous sommes, quant à nous, passionnément épris de la colonisation ; nous en avons fourni souvent la preuve; nous convions chaque jour nos concitoyens à sortir des mesquines querelles et des discussions sans issue où ils se complaisent pour s’occuper sérieusement des grands intérêts français à l’extérieur. Nous avons la conviction que, si l’on ne renonçait pas aux procédés suivis depuis quelques années, on finirait par créer une Irlande en Algérie, par compromettre le présent et l’avenir de notre colonie et par exposer la métropole même à des dangers sérieux.


PAUL LEROY-BEAULIEU.