dont le réveil serait dur. Je pus répondre encore; ce que j’écrivis, je l’ai oublié, je sais seulement que je citais à Flaubert une parole de Bossuet : « Le plus grand dérèglement de l’esprit, c’est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient. » Rien de ce que Flaubert avait rêvé ne se réalisa, le quelque chose qui lui avait promis la victoire s’était trompé ; de défaite en défaite on descendit jusqu’à l’endroit où la terre manque sous les pieds. Après s’être emparés d’Amiens, les Allemands marchèrent vers la Normandie pour s’assurer du cours inférieur de la Seine. A Buchy, il y eut un combat ; la retraite put s’appeler une déroute ; je la vis passer par quatorze degrés de froid, par une nuit claire et mortelle pour de pauvres enfans mal vêtus, mal chaussés, affamés et harassés d’une étape qui semblait ne devoir jamais finir. A Pont-Audemer où nous étions, où les Allemands arrivèrent deux jours après, nous pûmes recevoir, héberger et nourrir ces débris de bataillons mêlés les uns aux autres, s’appelant, se cherchant, ne se reconnaissant pas. La ligne de la Risle ne fut point défendue. La route d’Honfleur qui mène à Caen était ouverte; les Allemands la tâtèrent et ne s’y engagèrent pas; à quoi bon? C’était à Paris que le dénoûment se préparait, à Paris, ville forte de deux millions d’habitans, où la seule difficulté de l’alimentation est une cause de défaite presque certaine; simple question de; temps; bien abrités, bien vêtus, bien nourris, les Allemands n’étaient point pressés. A Pont-Audemer, j’étais bien près de Gustave Flaubert; il avait ses devoirs, j’avais les miens plus impérieux de jour en jour, nous ne pûmes même pas nous rencontrer pour nous embrasser.
Après le combat de Buchy, la ville de Rouen se désarma d’elle-même et reçut le vainqueur. Qu’aurait-elle pu faire? Ouverte, tassée au bord de la Seine, entourée de collines qui la surplombent, où nulle fortification ne permet la résistance, abandonnée par nos soldats, elle ne voulut pas s’exposer à une exécution militaire en essayant une défense impossible ; elle céda et sauva sa vie ; on ne peut l’en blâmer, car, eût-elle arrêté les Allemands, elle ne modifiait en rien les conditions d’incohérence où nous nous débattions. Quand Flaubert apprit que Rouen était occupé et qu’il vit les vedettes prussiennes s’avancer jusqu’à Croisset, il fut saisi de stupeur. Il y a des hypothèses qui semblent inadmissibles, et celle de voir un jour le soldat étranger camper sous ses fenêtres, dans son jardin, dans sa maison, n’avait jamais effleuré sa pensée. Il crut que tout ce qui était chez lui allait être pris, saccagé, détruit; il eut, m’a-t-il dit, un vertige auquel il ne sut pas résister et prenant ses papiers, ses lettres, ses notes, ses livres par brassée, il les jeta au feu. Il ne savait guère lui-même ce qu’il avait anéanti dans cette heure d’effarement ; nous avons recherché ensemble un document que je lui avais prêté, et dont j’avais besoin; il nous