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consomme en nature une notable partie, parfois la totalité de ses produits. La baisse des prix lui est donc moins sensible. Elle n’en est affectée que si elle a des dettes.

C’est sous la forme de dettes que se présente la plus grande, la plus profonde, la plus durable des calamités agricoles. Les dettes enlèvent aux cultivateurs qui en sont chargés une partie notable de leur revenu, et cette partie est d’autant plus grande que les prix sont plus bas ; c’est là une cause de souffrance morale et économique dont il est difficile d’exagérer la portée. On a soutenu que ce mal porte en lui-même son remède : le cultivateur accablé de dettes vendra sa propriété et sera remplacé par un autre ; la terre ne restera pas en friche, et c’est là l’essentiel pour la société, pour l’état. Ce remède sera quelquefois efficace, mais le plus souvent il arrivera de deux choses l’une : ou la propriété sera achetée par un capitaliste, et alors l’exploitation passera des mains d’un propriétaire dans celles d’un fermier, ce qui serait une chute ; ou elle sera achetée par un cultivateur hors d’état de payer comptant son acquisition, et l’on pourra s’attendre à une nouvelle expropriation et la propriété perdra ainsi ce caractère de fixité qui fait en grande partie sa force. D’autres ont cherché des remèdes radicaux, recommandant, par exemple, la suppression pure et simple du système hypothécaire ; avec la faculté de constituer un gage immobilier disparaît, en effet, celle d’emprunter sur immeuble. On a aussi proposé de rendre les communes solidaires des dettes foncières, ce qui obligerait chaque habitant à demander au conseil municipal l’autorisation d’emprunter, naturellement en justifiant sa demande par l’exposé sincère et complet de sa situation. L’auteur de cette proposition s’appuie sur une analogie lointaine avec une coutume des anciens Germains !

Supposons qu’on soit décidé « en principe » à supprimer les dettes hypothécaires, comment résoudrait-on les difficultés que nous allons indiquer ? Tout le monde sait que ces dettes ont trois sources : le partage des successions, les restes à payer sur le prix d’acquisition d’un immeuble, enfin les emprunts et consolidations de dettes diverses ; passons-les rapidement en revue. Si l’on supprime l’hypothèque, il n’y aura plus de crédit foncier ; cette perte serait regrettable, mais enfin on peut en concevoir l’idée. Il serait plus difficile de se passer de l’inscription du reliquat de prix de vente ; après avoir essayé de toute sorte d’expédiens, on sera forcé de revenir à un mode d’inscription quelconque, il n’y aura de changé que le nom. Ce sont les partages de succession qui présenteraient la difficulté la plus grande, et c’est là précisément la source la plus abondante des dettes hypothécaires, source intarissable, puisqu’elle est alimentée par le mouvement de la population. Quand plusieurs héritiers