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et les résultats qu’il peut avoir échappent à notre influence, mais nous devons en prendre acte. Nous n’avons aucune mesure à proposer, mais nous demandons à ceux qui croient pouvoir trouver pour chaque mal le remède qui en débarrassera l’humanité, de tenir compte des faits que nous signalons, de les faire entrer en ligne de compte dans leurs calculs. L’accroissement de la population, l’encombrement des carrières, la nécessité de tirer des subsistances de l’étranger, la concurrence industrielle de plus en plus vive des différens pays sont des élémens essentiels du problème social dont il n’est pas permis de faire abstraction.


IV.

Le problème social ! c’est là, en effet, le grand problème de notre époque, c’est la crise latente qui sera évitée ou atténuée si nous parvenons à en reconnaître la nature intime, si nous pouvons prendre sur nous de l’envisager de sang-froid. Ceux qui l’étudient s’arrêtent le plus souvent à la surface, ils se contentent de noter quelques phénomènes extérieurs, la lutte des classes, la haine du pauvre contre le riche, les dissentimens du capital et du travail, mais ils ne pénètrent pas jusqu’aux causes des phénomènes. Ils en cherchent l’explication dans les circonstances extérieures, au lieu de la chercher dans les conditions d’existence même de la population, ou, pour dire les choses clairement, dans le rapport entre les forces productives et les subsistances.

Ce n’est pas à dire que le chiffre de la population n’ait été l’objet d’aucune préoccupation, mais l’on s’est placé de préférence au point de vue de la grandeur nationale, de l’influence qu’elle confère à un état, des conséquences politiques qui s’y rattachent. Personne ne contestera l’importance de ces considérations ; mais n’oublions pas qu’il faut assurer l’existence des individus avant de songer à l’extension de l’état. C’est séduisant de parler des masses, mais il est plus utile de considérer d’abord les unités dont elles se composent, de se représenter les besoins et les passions qui leur sont communs et qui seuls font de la collectivité un tout homogène. Ces besoins et ces passions sont les forces qui donnent le mouvement à la société humaine. Or quel est le besoin le plus général, le besoin universel, si ce n’est, pour chaque individu, celui d’assurer son existence, de « gagner sa vie, » et de la gagner facilement et largement s’il se peut ? Et si quelqu’un trouvait cette préoccupation trop mesquine, nous lui montrerions que cette cause prétendue petite produit les plus grands et les plus durables effets, c’est même la cause par excellence. Darwin l’a nommée le struggle for life.

C’est en suivant quelques-unes des manifestations de cette cause