par la bonne mine du jeune homme, par sa hardiesse et par son savoir-faire. Mais quand, ayant voulu mettre sa bète, qu’il croyait calmée, au petit galop, et que celle-ci, après une lançade imprévue, ayant détalé à fond de train vers l’extrémité du manège, comme un sanglier qui prend son parti ou comme un cerf qui débuche, il eut arrêté net cette course intempestive en se renversant brusquement en arrière et en broyant la bouche de Tanimal d’un coup de poignet tout-puissant, son succès se tourna en ovation. Avant d’avoir concouru, il avait remporté, sinon le prix du concours, du moins la victoire de la journée ; à défaut de la plaque du jury, il était sûr d’avoir le cœur du public.
Trois femmes étaient là, agitées d’émotions diverses, en présence de ce petit triomphe décerné au jeune écuyer pour ses prouesses d’équitation transcendante, — trois femmes, sans compter une mère et une sœur, dont les impressions étaient faciles à deviner ; sans compter non plus une foule d’inconnues, qui jetaient leurs cœurs sous les pieds du cheval vaincu, ainsi que, jadis, devaient jeter les leurs, sous les roues du char victorieux, les belles spectatrices des courses antiques et des jeux d’Olympie. La première sentait s’enfoncer plus avant dans son cœur les aiguilles empoisonnées de la jalousie et les dards barbelés du regret, à mesure que l’infidèle semblait s’élever sur le pavois de carton peint de son triomphe d’hippodrome ; la seconde se prenait à aimer pour une heure ce joli garçon, dans lequel elle n’avait vu d’abord qu’un jeune dadais, porteur d’une sacoche facile à éventrer, — amour de fille pour un Léotard acclamé ; la troisième, enfin, était heureuse tout simplement. Placée du côté opposé à celui où se trouvait Jane, Geneviève n’avait pu voir celle-ci au bras de Roger. M. de Rhèges, en effet, au moment où il cherchait en vain du regard des places vacantes, avait été abordé par son carrossier, lequel, à l’exemple de quelques confrères avisés, profitait de la circonstance pour exposer deux ou trois voitures, et il avait accepté l’offre qui lui était faite d’occuper avec sa fille le siège d’un phaéton sis justement à proximité de l’obstacle le plus intéressant et le plus ardu : deux barres posées à trois mètres l’une de l’autre. Geneviève, tout entière au plaisir de voir briller celui qu’elle aimait, oubliait la rencontre qu’elle avait faite deux ou trois jours auparavant ; elle oubliait même certains regards qu’avaient échangés en sa présence Roger et Madeleine, à quelques-unes des réunions d’hiver où elle s’était trouvée en leur compagnie, et qui l’avaient si fort affligée. D’ailleurs, le premier saisissement passé, la rencontre du Bois avait plutôt calmé qu’aggravé ses soucis et sa peine. Elle était trop pure, trop candide, trop vierge d’âme et de corps pour s’élever, ou plutôt pour descendre du premier coup jusqu’à la divination des infirmités du cœur ; une femme l’avait effrayée, deux la rassuraient ;