lointaines, de leurs premiers baisers. L’imagination n’est-elle pas plus riche que le cœur, et qui pourrait affirmer qu’il a plus vécu sa vie que ses rêves ? Deux ou trois heures passèrent dans une obscurité que Roger ne songea pas à faire cesser : signe qu’il y avait là pour lui plutôt un songe poétique, sous une forme tangible, qu’une joie réelle et vivante. Il ne demandait à Madeleine que le parlum de ses cheveux, les effluves troublans de son beau corps de blonde, réner^it contact de sa peau ferme et fraîche, la griserie de son souille tiède ; il n’avait plus besoin de la vue de sa beauté. — Elle s’en alla vers onze heures, un peu trébuchante, au bras de Roger, qui la reconduisit jusqu’auprès de la gare et ne la quitta qu’après s’être assuré que nul curieux n’était là pour les épier.
X.
A force d’esprit de part et d’autre, on arrive quelquefois, — pas souvent, — à faire une espèce d’amitié des reliefs d’un amour qui finit ; on peut aussi faire du mépris avec la desserte d’une passion terminée : ce qu’on ne fait jamais, c’est de l’amour avec des restes d’amour. — Le lendemain même de cette soirée d’ivresse impromptu où Madeleine avait cru reconquérir son amant, celui-ci vit arriver Jane, à qui son flair de longue portée faisait avancer d’un jour sa visite. La charmante donzelle trouva que ça sentait la chair fraîche, et en prit texte pour placer une scène de jalousie qu’elle possédait sur le bout du doigt. Roger, pris par les sentimens, se rendit à merci. La scène, d’ailleurs, fut supérieurement jouée ; soit que l’éniinente artiste eût réellement deviné qu’il se passait quelque chose, soit qu’elle sentît le besoin de frapper un grand coup, elle se départit, ce jour-là, de la sobriété de gestes et d’expansion dont elle affectait volontiers de ne se dépouiller qu’avec ses vêtemens, et elle fut hardiment passionnée dans son attitude et dans son langage. Elle ne recula même pas devant la trivialité des sermens et jura qu’elle aimait Roger pour de bon, c’est-à-dire à la folie. — Pour inconstant et léger qu’il se montrât, Trémont n’en restait pas moins un très brave jeune homme, à l’âme délicate, à la conscience à peine faussée, de sorte qu’il se sentait fortement embarrassé. Il comprenait qu’il lui serait difficile de rompre avec Madeleine, du moins tout de suite, après les gentillesses de la veille ; et, d’autre part, il ne pouvait se résoudre à se priver de tout ce que lui promettait la tendresse débordante et désormais indisciplinée d’une femme comme Jane Spring, qui lui plaisait de plus en plus. Enfin, ce charmant garçon avait toutes les peines du monde à accepter l’idée de recevoir dans le même logis les deux femmes qui prétendaient