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on sait immédiatement à quoi on est entraîné. Donc, grâce à ces combinaisons, M. Léon Say trouve le moyen de faire à peu près les mêmes dépenses extraordinaires que son prédécesseur. Au fond, les ressources réellement disponibles sont toujours dépassées. Avec le projet de M. Allain-Targé, on s’en serait aperçu tout de suite, parce que tout de suite il aurait fallu recourir à l’emprunt ; avec celui de M. Léon Say, on ne s’en apercevra que dans deux ans, car l’honorable et ancien ministre ne peut promettre qu’on ira au-delà de ce temps sans emprunter. M. Léon Say n’a pas osé trancher dans le vif, arrêter les dépenses, et alors son budget a prêté à la critique ; on lui a reproché d’avoir poussé inutilement un cri d’alarme. Aussi lui-même, dès le premier discours qu’il a prononcé dans la discussion générale qui a eu lieu avant la séparation de la chambre, a-t-il cru devoir déclarer qu’au fond « les finances de la république étaient superbes et la situation admirable. » Cette déclaration n’était sans doute qu’une préparation oratoire pour faire accepter les réformes qu’il proposait ; elle n’en est pas moins curieuse et montre à quel point la république, ce gouvernement de libre discussion et de vérité absolue, est susceptible à l’endroit des choses qui le blessent.

On a pu dire autrefois, sous le gouvernement de Louis-Philippe, que nos finances étaient compromises et que nous marchions à la banqueroute, — on a vu depuis combien c’était faux ; — on l’a répété sous le deuxième empire, c’était plus justifié. Cependant les événemens de 1870 et 1871 ont montré encore que la situation financière n’était pas aussi mauvaise qu’on le supposait. Aujourd’hui, nous avons un budget ordinaire qui dépasse 3 milliards, une dette flottante qui est en train d’arriver au même chiffre, et une dette qui atteint 24 milliards, sans compter les obligations à court terme. Nous dépensons chaque année de 600 à 700 millions que nous n’avons pas, et on commet un crime de lèse-république si on ose dire que nos finances sont en mauvais état. Lisez le rapport de M. Varroy au sénat sur le budget de 1882 et vous y trouverez ceci : « La prospérité de nos finances, depuis l’année épique où la constitution a été votée, a continué à s’affermir de plus en plus. » C’est probablement parce que, depuis cette année-là, on a dépensé plus que jamais et que le budget ordinaire s’est accru de plus de 300 millions en trois ans. C’est M. Ribot qui le déclare dans son excellent rapport sur le budget de 1883. Du reste, les précautions oratoires sont tellement nécessaires quand on parle des finances de la république que M. Ribot lui-même a cru devoir en prendre, et, dans ses critiques, le nec plus ultra de son audace a été de dire : « Oui, nos finances sont puissantes, mais elles sont engagées. » On pourrait répondre à l’honorable rapporteur de la commission que, si nos finances sont engagées, elles ne sont plus puissantes, du moins