Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

miracles d’une exécution difficile, » comme le miracle de Josué, — retenant cependant le principe, au moins pour les miracles du Nouveau-Testament. Cet éclectisme superficiel me satisfit peu. M. Le Hir était bien plus près du vrai en ne cherchant pas à atténuer la chose racontée, et en étudiant attentivement, à la façon d’Ewald, le récit lui-même. Comme grammairien comparatif, M. Quatremëre était aussi très inférieur à M. Le Hir. Mais son érudition orientale était colossale ; le monde s’ouvrait pour moi ; je voyais que ce qui en apparence ne devait intéresser que les prêtres pouvait aussi intéresser les laïques. L’idée me vint dès lors plus d’une fois qu’un jour j’enseignerais à cette même table, dans cette petite salle des langues, où j’ai en effet réussi à m’asseoir, en y mettant une assez forte dose d’obstination.

Cette obligation de clarifier et de systématiser mes idées en vue de leçons faites à des condisciples du même âge que moi décida ma vocation. Mon cadre d’enseignement fut dès lors arrêté ; tout ce que f ai fait depuis en philologie est sorti de cette modeste conférence que l’indulgence de mes maîtres m’avait confiée. La nécessité de pousser aussi loin que possible mes études d’exégèse et de philologie sémitique m’obligea d’apprendre l’allemand. Je n’avais à cet égard aucun élément ; à Saint-Nicolas, mon éducation avait été toute latine et française. Je ne m’en plains pas. L’homme ne doit savoir littérairement que deux langues, le latin et la sienne ; mais il doit comprendre toutes celles dont il a besoin pour ses affaires ou son instruction. Un bon condisciple alsacien, M. Kl.., dont je vois souvent le nom cité pour les services qu’il rend à ses compatriotes à Paris, voulut bien me faciliter les débuts. La littérature était pour moi chose si secondaire, au milieu de l’enquête ardente qui m’absorbait, que j’y fis d’abord peu d’attention. Je sentis cependant un génie nouveau, fort différent de celui de notre XVIIe siècle. Je l’admirai d’autant plus que je n’en voyais pas les limites. L’esprit particulier de l’Allemagne, à la fin du dernier siècle et dans la première moitié de celui-ci, me frappa ; je crus entrer dans un temple. C’était bien là ce que je cherchais, la conciliation d’un esprit hautement religieux avec l’esprit critique. Je regrettais par momens de n’être pas protestant, afin de pouvoir être philosophe sans cesser d’être chrétien. Puis je reconnaissais qu’il n’y a que les catholiques qui soient conséquens. Une seule erreur prouve qu’une église n’est pas infaillible ; une seule partie faible prouve qu’un livre n’est pas révélé. En dehors de la rigoureuse orthodoxie je ne voyais que la libre pensée à la façon de l’école française du XVIIIe siècle. Mon initiation aux études allemandes me mettait ainsi dans la situation la plus fausse ; car, d’une part, elle me montrait l’impossibilité d’une exégèse sans concessions ; de l’autre, Je voyais parfaitement que ces