- : O Joseph, ô mon aimable
- : Fils affable,
- : Des bêtes t’ont dévoré ;
- : Je perds avec toi l’envie
- : D’être en vie ;
- : Le Seigneur soit adoré !
Quand elle m’écrivait cela, mon cœur était navré. Dans mon enfance, j’avais l’habitude de lui demander dix fois par jour : « Maman, êtes-vous contente de moi ? » Le sentiment d’un déchirement entre elle et moi m’était cruel. Je m’ingéniais alors à inventer des moyens pour lui prouver que j’étais toujours le même fils affable que par le passé. Peu à peu la blessure se cicatrisa. Quand elle me vit rester pour elle aussi bon et aussi tendre que je l’avais jamais été, elle admit volontiers qu’il y a plusieurs manières d’être prêtre et que rien n’était changé en moi que le costume ; et c’était bien la vérité.
Mon ignorance du monde était complète. Tout ce qui n’est pas dans les livres m’était inconnu. Comme, d’ailleurs, je n’ai jamais bien su que ce que j’ai appris à Saint-Sulpice, la conséquence a été qu’en affaires je suis toujours resté un enfant. Je ne fis donc aucun effort pour rendre ma situation aussi bonne que possible. Penser me paraissait l’objet unique de la vie. La carrière de l’instruction publique étant celle qui ressemble le plus à la cléricature, je la choisis presque sans réflexion. Certes il était dur, après avoir touché à la plus haute culture de l’esprit et avoir occupé une place déjà honorée, de descendre au degré le plus humble. Je savais mieux que personne en France, après M. Le Hir, la théorie comparée des langues sémitiques, et ma position était celle du dernier maître d’étude ; j’étais un savant et je n’étais pas bachelier. Mais la satisfaction intime de ma conscience me suffisait. Je n’eus jamais, au sujet de mes résolutions décisives du mois d’octobre 1845, une ombre de regrets.
Une récompense, d’ailleurs, me fut réservée dès le lendemain même de mon entrée dans la pension obscure où je devais occuper durant trois ans et demi la situation la plus chétive. Parmi les élèves, il y en avait un qui, à raison de ses succès et de son avancement, occupait un rang à part dans la maison. Il avait dix-huit ans, et déjà, l’esprit philosophique, l’ardeur concentrée, la passion du vrai, la sagacité d’invention, qui, plus tard, devaient rendre son nom célèbre, étaient visibles pour ceux qui le connaissaient ; je veux parler de M. Berthelot. Ma chambre était contiguë à la sienne, et dès le jour où nous nous connûmes, nous fûmes pris d’une vive amitié l’un pour l’autre. Notre ardeur d’apprendre était égale ; nos