la vue de cette baie couronnée de montagnes dont je ne puis me lasser. Je redescends pour me promener sur le port. Des vaisseaux de toute provenance et à toute destination sont accostés le long des quais, déchargeant ou embarquant des cargaisons de toute nature. Les plus grands sont à l’ancre à quelque distance, car au long des quais l’eau n’est pas assez profonde pour leur tirant d’eau. Il y aurait là de grands travaux à faire, et le plus important de tous serait de restaurer ces estacades en planches pourries où l’on risque à chaque instant de se briser les jambes en tombant dans quelque trou. Mais la municipalité de San-Francisco a probablement d’autres soucis. Je rentre dans la ville et je me promène dans California-street, la rue des maisons de banque. Les larges trottoirs sont encombrés d’hommes à mine plus ou moins douteuse qui, formés par petits groupes, discutent avec animation. Ce sont des courtiers, des gens d’affaires qui font des transactions de toute nature, et c’est ainsi que s’établissent les cours de l’or, du blé, d’autres denrées encore. En un mot, c’est la petite bourse de San-Francisco. J’entre dans une maison de banque, et pour la première fois depuis mon arrivée aux États-Unis, où le papier-monnaie est d’un usage général, je vois de l’or. Les employés de la caisse ne sont point, comme en France, protégés par un grillage ; ils sont debout entre deux comptoirs qui ressemblent à des comptoirs de mode et, pour leurs paiemens, prennent à pleines mains dans les piles d’or qui sont entassées derrière eux. Jamais, à San-Francisco, on n’a voulu accepter le papier-monnaie, même pendant la guerre de sécession. C’est tout ce qui reste de la fièvre de l’or. Frappé du grand nombre d’églises, je pénètre dans l’une d’elles. C’est une église catholique des plus simples. Pendant que j’en fais le tour, une femme, entrée quelques instans après moi, s’agenouille en passant devant l’autel et baise le pavé. C’est un reste des usages espagnols, et comme l’imagination va vite, je me crois un instant transporté bien loin d’ici, dans la vieille patrie de la dévotion catholique. Mais en sortant de l’église, je retombe dans tout le brouhaha d’une rue américaine où les tramways s’entre-croisent, où les passans se bousculent et où je suis le seul à flâner. Je vais rendre visite au général Mac-Dowell, commandant en chef de toute la région militaire du Pacifique, pour lequel j’ai une lettre de recommandation. Le général s’est arrangé, un peu au dehors de San-Francisco, sur une pointe déserte, une véritable villa anglaise qu’il a préservée par une palissade de dix pieds de haut contre les tourbillons de sable. En dedans de cette palissade, on trouve un gazon verdoyant, des géraniums qui sont des arbustes, et des magnolias à travers les branches desquels on aperçoit les eaux bleues de la
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