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modifications à son projet. Les dégrèvemens graduels ne commenceront pas avant qu’elle ait regagné le chiffre actuel de ses bénéfices ; c’est l’affaire d’un an au plus, et les bénéfices ne sont comptés qu’après amortissement complet des capitaux engagés, en sorte que la compagnie serait assurée de maintenir pendant quarante-huit ans encore, et même de dépasser les gains énormes qu’elle fait actuellement ; assurée aussi de doubler ce capital énorme de terrains et de constructions, qui se trouvera ne lui rien coûter, lors de la fin de son bail, et constituera pour ses actionnaires un profit net, au moins double du prix d’émission de leurs actions.

D’autre part, la ville aurait-elle avantage à accepter le traité modifié ? Nous le pensons. Nous préférons de beaucoup la clause de partage de bénéfices, visant tous les motifs de réduction, à l’article 48, qui ne prévoit que le progrès scientifique. Pour le présent, le traité donnerait évidemment plus que l’arrêté préfectoral. Il est vrai qu’il engage l’avenir ; mais l’engagement est sans danger. En effet, si les choses suivent leur cours normal, aucun fabricant, en 1905, ne fournira le gaz à 17 centimes, tout en payant 20 millions à la ville de Paris. Si une grande invention vient changer toutes les conditions de l’industrie de l’éclairage, deux hypothèses se présentent : ou bien le gaz coûtera beaucoup moins cher, ou bien on ne l’emploiera plus. Au premier cas, les prix baisseront, grâce au partage des bénéfices ; au second cas, le monopole n’existera plus. Enfin, et pour comble de sûreté, nos successeurs auront le droit de racheter la concession, s’ils y voient profit. Ils n’auront donc point de reproches à nous faire.

Tous les détails de cette difficile affaire ont été plusieurs fois exposés au conseil municipal ; après trois rapports, après des mémoires administratifs, des études d’ingénieurs et des consultations d’avocats, enfin, après trois jours de discussion, la session touchant à sa fin, M. le préfet a retiré le dossier. Il paraîtra peut-être difficile d’ajourner encore, et les abonnés, qui continuent à payer 30 centimes, sauront bientôt si la compagnie cède un peu de ses prétentions et parvient à s’entendre avec le conseil municipal, ou si le nouveau préfet de la Seine accepte la responsabilité d’abaisser par un arrêté le prix du gaz. Le droit de la ville nous paraît clair : il ne s’agit pas de violer le traité, mais de le faire appliquer strictement. C’est là le devoir de l’administration municipale, si, contrairement à ce que nous aurions souhaité, les projets de transaction ne réussissent pas.


DENYS COCHIN.