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une « croisade iconoclaste, » à une guerre aux croyances des familles. Fort bien ! Pendant ce temps, le nouveau préfet de la Seine, à peine arrivé à son poste, à la première sommation du conseil municipal de Paris, se hâte d’entrer en campagne et revient en triomphe avec quelques malheureux crucifix enlevés dans deux ou trois écoles. Que faire ? le conseil municipal l’a voulu ! M. le président de la république lui-même reçoit, ces jours passés, à l’Elysée un nouveau nonce pontifical, Mgr di Rende, et, dans cette audience, il parle avec cordialité des intérêts religieux, des rapports de la France et du saint-siège. C’est le langage officiel ; mais en même temps, dans tout ce monde républicain, auquel le gouvernement demande une majorité qui ne soit pas « accidentelle, » c’est une sorte de déchaînement fébrile et puéril contre tout ce qui est religieux, contre les évêques, contre les traitemens et subventions ecclésiastiques, contre le budget des cultes. Il s’est même trouvé hier dans la chambre une majorité, — on ne sait pas si elle est « accidentelle » cette fois, — qui a supprimé à peu près le traitement de M. l’archevêque de Paris. Il est vrai qu’elle a défait un instant après ce qu’elle venait de faire et qu’on ne sait plus ce qu’on a voté.

Il faut cependant sortir de là et en venir à plus de clarté dans les situations. Un républicain qui a été associé comme préfet de police à l’exécution des décrets contre les congrégations et qui était récemment ambassadeur à Madrid, M. Andrieux, n’a pas craint ces jours derniers de dire tout haut qu’il y avait un ralentissement sensible dans l’adhésion du pays à la république. Ce ralentissement est dû à bien des causes sans doute ; mais, dans tous les cas, comme l’a dit M. Andrieux, cette répugnante guerre de petits esprits contre les croyances religieuses n’est point certainement étrangère à l’immense lassitude de l’opinion. Eh bien ! le moment est venu de savoir si la déclaration lue l’autre jour par M. le président du conseil n’est qu’une banalité ou si elle signifie que le gouvernement a le sentiment de cette situation, qu’il est décidé à rétablir un peu d’ordre en France avec l’appui de tous ceux qui mettent la sauvegarde du pays bien au-dessus des intérêts et des passions de partis.

Certes, c’est une vérité plus d’une fois justifiée dans le passé, plus que jamais confirmée par tout ce qui se passe aujourd’hui : on ne fait pas des finances, on ne fait pas du gouvernement, on ne fait pas, en un mot, de l’ordre avec du désordre, avec de stériles agitations intérieures, et avec des confusions de partis on fait encore moins de la politique extérieure, on assure encore moins à son pays un rôle sérieux dans le monde. On s’en est bien aperçu, il y a quelques mois, lorsque la France, livrée à des politiques de fantaisie, a déclaré pour ainsi dire son incompétence dans ces affaires d’Egypte, dont elle avait eu jusque-là le droit de s’occuper et devant lesquelles elle s’est sentie brusquement para-