tapis de Recht et des buissons de roses. Hélas ! il est une passion qu’avaient ces artistes du XVIe siècle et qui manque à M. Makovski, la passion du squelette humain. Vasari nous les montre pâlissant la nuit sur les études anatomiques, les pieds dans des copeaux, faute de feu ; Benvenuto chante un dithyrambe à la gloire des muscles et des os. Je crains bien que le peintre russe n’ait jamais vu ses modèles déshabillés. Aussi le corps ne palpite pas sous ces vêtemens si bien traités. Voici un portrait de l’empereur Alexandre II très apprécié : la tête est frappante de ressemblance, d’une expression superbe, mais l’uniforme de hussard repose sur un mannequin. Dans cet autre portrait de jeune fille, une ravissante figure ne peut se tourner vers nous, car elle est fichée sur un pivot en bois. La faiblesse du dessin est moins apparente dans ces groupes d’enfans ; elle se révèle pourtant quand on arrive aux pieds et aux mains, qui finissent en appendices confus. Mais ils désarmeraient le critique le plus hargneux, ces beaux enfans si gracieux, si luxurians de vie, qui jouent aux pieds de leurs mères ou grimpent sur les meubles du somptueux atelier. M. Makovski s’est constitué le peintre des élégances aristocratiques ; rappelons-lui qu’elles sont mieux servies par la précision du dessin que par la richesse de la couleur. Telle pâle figure d’Ingres, avec sa silhouette sèche et fine, dit sa race bien plus éloquemment que les portraits à fracas du temps présent. Nous ne nous arrêterons pas devant le tableau des Ondines, où une trentaine de femmes nues et bleues nagent sous l’écluse d’un moulin ; cette grande toile, qui a eu les honneurs de l’admission à l’Ermitage, fait un tort réel au talent si incontestable de son auteur. L’Orient devait tenter la palette de M. Makovski ; il y a été, il en a rapporté des cafés, des bazars, des rues du Caire papillotantes de couleur. Je voudrais les louer, malheureusement j’ai trop vécu en Orient. Ah ! ce terrible Orient, il attire les coloristes, il semble facile et tout en dehors : mais comme le mirage se dérobe ! On croit qu’il suffit de renforcer sa boîte à couleurs : passe encore pour l’Orient turc ; mais l’Orient africain, si l’on peut accorder ces deux mots, confond toutes les idées préconçues. Dans le jour, la lumière puissante, intraduisible, est dans le ciel, autour des choses, partout, mais non dans les choses elles-mêmes ; elle écrase et éteint les nuances qui paraîtraient criardes ailleurs. Aux heures du matin et du soir, l’exquise finesse des tons exigerait la touche légère des paysages da Pérugin ; Marilhat y était presque revenu. Qu’on se rappelle les remarques si ingénieuses de Goethe sur la valeur relative des colorations à Naples et dans le Nord. En outre, les objets se découpent avec une netteté de contours effrayante pour le dessinateur peu sûr de sa main. L’artiste séduit par l’Afrique joue une partie impossible et où il n’a rien à gagner ; s’il en rapporte du clinquant, sa conscience lui
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