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cette formation qui semble si propre à l’attaque et dont la marine à voiles a souvent fait usage, l’angle aigu de chasse. Le triangle est fermé par une troisième escadre chargée de remorquer les vaisseaux de transport. La quatrième division constitue la réserve ; développée en ordre de front, derrière tout cet ensemble, elle couvre à la fois et les vaisseaux que traîne la troisième escadre et les colonnes d’attaque qui s’avancent pour s’enfoncer comme un coin dans le centre ennemi. La division de réserve a, dès ce moment, son rôle marqué pour l’offensive ; elle marche en ordre ouvert, développant sa ligne de façon à déborder les ailes qui comptent sur son intervention, si l’ennemi essayait de les menacer. On sait, en effet, que ce sera toujours par le flanc qu’une flotte composée de bâtimens à rames ou de navires à vapeur demeurera, quelque formation qu’elle adopte, particulièrement vulnérable. Les Carthaginois n’ont pas un instant songé à recevoir le choc de cette masse immense qui vient à leur encontre ; au lieu de vouloir lui barrer la route, ils ouvrent leurs rangs et la laissent passer, mais c’est pour se rabattre soudain à droite et à gauche. La journée est à eux s’ils savent tirer parti de l’embarras dans lequel ils vont ainsi jeter les Romains : on ne retourne pas une armée de 140,000 hommes comme un gant.

Lancées en avant de toute l’énergie de leurs rames, les deux divisions que conduisent les consuls n’ont trouvé devant elles que des vaisseaux prompts à vider la place ; la troisième et la quatrième escadres, au contraire, menacées sur leurs flancs, ont eu, dès le début, le sentiment d’une situation critique : ce sont elles qui ont le soin du convoi. À quoi sert d’avoir forcé le passage si l’arrière-garde est mise dans l’impuissance de suivre ? Inquiets de la tournure que vient de prendre tout à coup le combat, les consuls ont déjà suspendu leur élan : essaieront-ils de virer de bord, de reprendre, par un brusque mouvement de tête à queue, le terrain perdu ? Les vaisseaux qui pliaient devant eux, ces vaisseaux qu’ils croyaient n’avoir plus qu’à poursuivre, ne leur permettront pas de faire ainsi volte-face ; la mêlée s’engage, et les deux divisions dont les consuls se sont imprudemment séparés ne peuvent plus compter que sur elles-mêmes. Deux batailles distinctes vont se livrer simultanément, l’une au large, l’autre presque à portée de trait de la terre.

L’aile gauche des Carthaginois rencontre cependant un accueil qui la refroidit ; l’aile droite, que commande Hannon, attaque avec plus d’impétuosité. Négligeant les vaisseaux qui restent déployés sur une longue ligne oblique, négligeant le convoi et les navires de guerre qui le remorquent, elle va droit à la quatrième division. Ne sait-elle pas qu’un secours inattendu viendra jeter bientôt en sa faveur un poids décisif dans la balance ? Le long de terre, en effet, s’est