l’empire et l’occupation de la mer : Carthage en profita pour inonder la Sicile de ses éléphans. Rome comprit le danger qu’elle allait courir et se ravisa. Elle arma sur-le-champ une flotte considérable qui vint mettre le blocus devant Lilybée. Des batailles, passe encore ! mais un blocus ! comment s’imaginer qu’il pourra être maintenu efficacement par des soldats ? Pour guetter l’occasion favorable, les Carthaginois n’avaient qu’à jeter l’ancre sous les îles Ægades, — à Levanzo, à Maritimo, à Favignana. La première grande brise qui soufflait du canal de Malte les emportait à travers les flottes romaines impuissantes à leur interdire l’accès de ce rivage tout semé d’écueils. On vit jusqu’à des galères isolées forcer en plein jour le blocus. Le chenal qui menait au port était sinueux sans doute, mais pour des pilotes familiers avec ces parages, ce n’en était pas moins un chemin praticable ; pour le suivre, il suffisait de bien choisir et de bien se rappeler ses amers. Venant de Levanzo, on avait trois tours en vue : il fallait se diriger d’abord sur la tour qui s’élevait le plus près du rivage, du côté du nord ; dès que les deux autres tours, — ces deux tours étaient situées sur la côte qui fait face à l’Afrique, — se trouvaient dans le même alignement, — en langage de marin, l’une par l’autre, — on changeait brusquement de route. Tant qu’on ne sortait pas de la ligne ainsi tracée, le vaisseau restait dans les eaux profondes.
Le Carthaginois qui déjoua le premier la surveillance de la flotte romaine appartenait-il à la grande famille des Barca ? La chose est peu probable, car on ne risque pas d’ordinaire des suffètes ou leurs proches parens dans de telles aventures : le hardi marin se nommait cependant Annibal. On le distinguait du fils d’Amilcar par le surnom d’Annibal le Rhodien. Il avait tant de fois traversé impunément la croisière ennemie que les Romains finirent par renoncer à l’espoir de l’intercepter au passage ; ils se résignèrent à lui laisser l’entrée du port ouverte, se promettant de l’attendre à la sortie. Dix vaisseaux, choisis parmi les plus rapides, allèrent se poster des deux côtés du goulet. Les rames levées, ils se tenaient constamment prêts à donner la chasse au Rhodien, quand cet intrépide forceur de blocus tenterait de regagner les îles Ægades. Le Rhodien ne prit même pas la peine de chercher à dérober ses mouvemens à des ennemis dont il dédaignait les poursuites ; il sortit du port en plein jour et passa comme une flèche au milieu des Romains stupéfaits. Sa confiance dans la supériorité de sa marche était telle qu’à peine hors de portée des traits, on le vit s’arrêter soudain et lever hors de l’eau, en signe de défi, ses avirons. Les Romains, haletans, déployaient pour l’atteindre toute la force que les dieux avaient mise dans les bras de leurs chiboumes ; le Rhodien, toujours immobile,