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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/564

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semblait qu’ils n’avaient rien à craindre des menaces du firmament. Le lieutenant d’Adherbal, Carthalon, fut plus avisé. Dès qu’il flaira l’orage, l’habile Carthaginois se hâta de passer à l’est du cap Passaro et de mettre ainsi sa flotte à couvert. Les vaisseaux de Junius eurent le sort de ceux que Marcus Æmilius et Servius Fulvius, cinq ans auparavant, ramenaient d’Afrique. Dans les mêmes parages et dans des conditions tout à fait analogues, la flotte de Junius fut anéantie. De cent navires de guerre et de quatre cents bâtimens de transport, la tempête ne laissa au malheureux consul que quelques épaves. Ce marin maladroit était en revanche un soldat de la plus haute valeur : il répara sa faute en allant s’emparer du plateau d’Éryx, position presque inaccessible d’où les Carthaginois essayèrent vainement de le déloger.

La dix-huitième année de la première guerre punique, l’année 245 avant Jésus-Christ, venait de s’ouvrir : Amilcar Barca avait établi son camp entre Éryx et Panorme ; de continuels combats occupèrent trois années encore. Il fallait en finir. Les Romains qui, depuis cinq ans, se tenaient complètement à l’écart de la mer, résolurent de reparaître en force sur ce théâtre d’où ils s’étaient exclus eux-mêmes à la suite de leur dernier désastre. Ils équipèrent rapidement, grâce aux largesses de quelques patriciens, une flotte de deux cents quinquérèmes construites sur le modèle des galères capturées devant Lilybée. Ces deux cents quinquérèmes tranchèrent victorieusement la question : elles firent ce que n’avaient pu faire ni l’occupation d’Éryx ni les longues lignes de circonvallation creusées sous les murs de Lilybée ; elles prirent Amilcar au dépourvu et, dans une seule journée, conquirent cette paix qui fuyait constamment devant les armées. Rome, après avoir débuté dans la guerre de Sicile par une victoire navale, allait encore, par une victoire navale, porter aux Carthaginois le coup mortel. La plus grande leçon qu’elle ait léguée au monde, c’est l’art de couronner par un triomphe suprême une longue succession de défaites et de catastrophes. L’empire appartient fatalement aux plus entêtés.

Retranché entre Éryx et Panorme, sans l’appui d’aucune ville alliée, sans l’espoir même de se faire des alliances dans une île qui obéissait presque tout entière aux Romains, Amilcar ne vivait que des convois de la mère patrie ou du produit de ses courses sur les côtes italiennes : l’arrivée soudaine du consul Lutatius le menaçait d’une prochaine famine ; il demanda des secours à Carthage. On lui envoya de Carthage une flotte chargée de blé. Hannon commandait ces vaisseaux de guerre, momentanément convertis en transports, comme nos superbes vaisseaux de la Mer-Noire que nous vîmes revenir un jour du Bosphore bondés jusqu’à mi-haubans de