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« qu’une souris doit toujours avoir plus d’un trou à se retirer. » À Paris, il s’était lié avec les gens à la mode ; il était l’ami, le familier des poètes de la Pléiade, qui appréciaient beaucoup son esprit et son savoir. Ronsard lui écrivait :


Divin Muret, tu nous liras Catulle,
Ovide, Galle, et Properce et Tibulle,
Ou tu joindras au sistre Télen
Ce vers mignard du harpeur Lesbien.


Le Jour où les amis de Jodelle, renouvelant des cérémonies un peu trop païennes, imaginèrent d’immoler un bouc à Bacchus, pour fêter Ite succès que le poète venait d’obtenir au théâtre. Muret faisait partie de la bande joyeuse. Ce n’était donc pas un de ces professeurs qui ne sortent jamais de leurs graves fonctions, qui, en quelque société qu’ils se trouvent, paraissent toujours en chaire. Il se piquait au contraire de n’être pas esclave de ces manies qu’on prend dans les écoles, il faisait bon marché de toutes les superstitions des gens de collège et d’université, et nous verrons que, même dans ses harangues scolaires, il n’est pas fâché de se meure en contradiction avec eux. Ronsard, qui détestait le pédantisme et qui trouvait que les professeurs gardent de leur métier une marque indélébile, rangeait Muret parmi ceux « qui n’ont de pédant que la robe et le bonnet. »

Ces brillans succès, obtenus dans les collèges et dans le monde, furent interrompus par un incident qu’il nous est d’abord difficile d’expliquer. Nous trouvons tout à coup Muret jeté en prison, puis quittant brusquement Paris. À Toulouse, où il se retire, son histoire est tout à fait la même. Il se met à enseigner, il attire les auditeurs autour de sa chaire, mais il est de nouveau poursuivi par la police et forcé de s’enfuir. Cette fois, l’aventure eut des suites. Malgré le départ de Muret, le parlement instruisit l’affaire. On lui fit son procès par contumace et il fut brûlé en effigie. Que lui reprochait-on ? Deux crimes dont le premier ne lui ferait pas beaucoup de tort à nos yeux, et qui d’ailleurs est fort loin d’être prouvé : on l’accusait d’être huguenot. Toute la vie de Muret semble démentir ce reproche, et il ne convient guère à celui qui fut plus tard l’apologiste de la Saint-Barthélemy. L’autre accusation est beaucoup plus grave et par malheur beaucoup plus vraisemblable aussi que la première. Colletet, son biographe, l’indique suffisamment quand il dit qu’il fut convaincu « de ce crime capital qui a fait autrefois embrasser de soufre et de bitume des cités entières. » Quelques amis ont essayé d’en défendre Muret ; mais nous aurions voulu qu’il s’en défendit lui-même, il ne l’a jamais fait sérieusement et s’est contenté